Michel Arbatz, sous les pavés les plages assassines
« Quand on m’a balancé mes 68 / Balais au travers de la gueule / Je me serais volontiers pris la cuite / Mais je ne me cuite jamais tout seul ». L’élément biographique est d’importance, lui qui, sur son âge, ne concédait à ce jour que le fait d’être né (longtemps) après les australopithèques. Ainsi, par ce disque, Michel Arbatz fête ses 68. Et quitte à baptiser le frais opus Mes 68, il tourne non autour du pot mais des pavés déjointés de ce mois-là : « Des fumées s’envolaient vers le nord de la rue Gay-Lussac / Godard et François Villon / Couraient le quartier latin / Tout autour des scarabées noirs paraissaient éclore / Méchants grenadiers sur les trottoirs / Jetant fleurs de chlore… » Ah, le joli mois de mai ! « Souviens-toi Barbara / Des grenades et des pavés / C’est tout ce qu’il pleuvait / A Paris ce jour-là… » Le disque pourrait faire joyeuse commémoration mais ce serait mal connaître Arbatz.
Sous les pavés d’autres plages. Comme celles, tragiques, de Lampedusa : « Qu’avons nous vu ? Qu’avons nous fait ? A quelle fourche avons nous perdu le chemin / Si nous voulons que tout reste pareil / Faisons en sorte que tout change ».
L’utopique car ténu espoir né d’un printemps se heurte à ce monde d’aujourd’hui, plus fou et tragique que jamais. Ce disque est un aller-retour entre il y a cinquante ans et maintenant, entre l’Histoire au grand H et celle, plus modeste et tout aussi prégnante avec un petit h, qui toutes deux se rejoignent : « Papa et maman sont partis dans un bateau / L’aut’ côté de l’eau / Quitter le ghetto, ils sont partis pour la France / Pas pour des vacances… »
Un demi-siècle plus tard, pour le fils d’immigrés qu’est Michel Arbatz, qui s’est fait à son tour passeur, lui de poésies. Cinq décennies brutales, de casses, bien trop d’ailleurs pour remplir sans déborder un tour de chant, un disque. Arbatz retourne au charbon et fait déroulé de ces années : le père qui revient à vélo de la banlieue des métallos, les pissotières de la Communale, les statues nues du jardin du Luxembourg, l’enfance et une santé fébrile (« La rue des années cinquante ça puait / Et j’étais petit du poumon »), l’évocation de Sacco et Vanzetti, le brouillons des premiers amours (signalons, pour le plaisir à ce point rare de jongler avec les mots, la chanson Julie Larousse : « J’en conviens j’avais dit un mot bien maladroit / En vantant ses roberts / Nous étions chez Larousse »)…
Seule mais conséquente frustration : les titres de cet album, Mes 68, ne sont qu’extraits du spectacle éponyme « aux allures autobiographiques à moitié imaginaire ». Il en manquerait donc et, déjà, on voudrait qu’Arbatz vienne chanter pas loin de chez nous pour tout entendre, tout revivre. Car c’est brillant, fort en textes, des chantés, parlés ou presque scandés, aux rythmes lents ou rapides du bandonéon d’Arbatz, de l’accordéon de Venitucci et de pas mal d’autres instruments. Un album qui donne envie, aussi, de remonter la discographie du chanteur, qu’il vient de ressortir, toute entière, dans un coffret.
Michel Arbatz, Mes 68, autoproduit 2019. Le site de Michel Arbatz, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Michel Arbatz vient aussi de sortir son coffret « 20 ans » (six CD pour 111 chansons).
En concert le 18 décembre 2019 au Gazette Café à Montpellier : lecture musicale autour de l’œuvre poétique de Blaise Cendrars. Et le 3 février 2020 dans le cadre de la Bibliothèque bavarde, à Montpellier, le Dôme.
Sauf erreur ou omission, pas de vidéo correspondant à ce nouvel album. On se console par cette archive, entretien avec le chanteur :
Je partage totalement la présentation élogieuse que fait Michel Kemper. Ce très bel album de Michel Arbatz fait voyager dans l’espace et le temps, avec poésie et harmonie musicales. La voix chaude, la virtuosité des musiciens et les arrangements concourent à une déambulation fraternelle où l’humour teinte toutes les émotions.
Je ne connais pas ce CD… mais ta chronique me l’a fait immédiatement commander !