Guy Béart, la pertinence folle
Même en les prenant pour fous, nous aimons plus que d’autres ces journalistes chanson qui osent un sujet a priori peu vendable, traitant d’un artiste que l’on a cru mort avant qu’il le soit, oublié qu’il est depuis longtemps, n’étant plus dans ce prétendu air du temps décrété je ne sais où par je ne sais qui.
Si Guy Béart fut un des très grands de la chanson (n’est-ce pas Canetti qui le tenait pour le troisième B de la chanson, après Brassens et Brel…), les trompettes de la renommée se sont depuis mal embouchées et seuls les apprentis guitaristes qui font leur gamme sur L’eau vive savent encore son nom. J’exagère, certes, mais de peu.
Notre confrère Michel Trihoreau, un fou, consacre son dernier ouvrage à Béart. Non par une biographie – il en existe – mais par une réflexion, une question (« Révolutionnaire ou prophète », tel qu’est sous-titré ce livre), à laquelle il tente de répondre en illustrant son propos par des extraits d’un long entretien, inédit, avec Guy Béart, qu’il avait réalisé en mars 1988.
Il est passionnant de relire les principaux événements, nationaux comme internationaux, des cinquante dernières années avec en tête et en regard les chansons de Guy Béart. La grille de lecture est étonnante que Trihoreau, avec l’habileté qui le caractérise, sait mettre à profit.
Une citation de Lucien Rioux, mise en exergue de cet ouvrage, nous dit bien qu’a l’instar de Brassens « Guy Béart nous décrit avec une simplicité faussement naïve le monde qu’il a sous les yeux et nous laisse le soin d’en tirer nos conclusions ».
Sans pour autant mettre lourdement les points sur les « i », Béart défend ici ses idées au micro de Trihoreau, avec ses chansons pour illustrations. La démonstration est convaincante et la rédaction plaisante. Prophétique ? En tout cas observateur, sage. Du présent, Béart tire nombre d’enseignements, de prévisions de bon sens, dont il aurait été bon que les politiques d’alors tirent des leçons. Avec le recul, on s’aperçoit combien Guy Béart avait au moins une longueur d’avance. Qui a dit que « le poète a toujours raison / qui voit plus loin que l’horizon / et le futur est son royaume » ? Mais, comme dit si justement la chanson « le premier qui dit la vérité / il doit être exécuté ». On a lynché, on le sait, Guy Béart, l’accusant de tous les maux, le taxant de ringardise. Vous me direz que, venant des prétendus cultureux à la mode qui président aux choses du chaud biz, cela vaut médaille. A cette décoration, Trihoreau ajoute la plus-value de ce précieux livre, qu’on consultera souvent, comme on boit une rasade de raison, de bon sens, avant de continuer son chemin. Ça peut sans mal devenir un de ses livres de chevet.
Michel Trihoreau, Guy Béart, révolutionnaire ou prophète ?, Le Bord de l’eau 2019, collection Le miroir aux chansons, 190 pages, 17 euros. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Guy Béart, c’est ici. Et des publications de Michel Trihoreau, c’est là.
Difficile qu’il est de trouver désormais des disques de Guy Béart en commerce, nous vous suggérons ce lien sur la catalogue EPM.
Celui qui a dit que « le poète A (pas d’accent sur le « a ») toujours raison/qui voit plus HAUT que l’horizon/et le futur est son royaume » n’est autre que … Jean Ferrat …
Bel article, Michel, sur le troisième B de la chanson que je considère, depuis longtemps, comme un incontournable de cette fabuleuse génération, au même titre (sans parler d’égal) que les deux autres.
Vous exagérez un peu car Béart n’est pas oublié du public qui fredonne toujours bon nombre de ses refrains, et ses chansons défieront l’air du temps, qui n’est pas à la poésie, nous le savons bien.
Béart est « un Grand », et si, pour nous, cela va sans dire, vous avez raison, Michel, cela va mieux en le disant.