Andoni Iturrioz : lumière noire, ruines et rocailles
« Entendu que la beauté a toujours raison / Et qu’il nous faut en être un creuset / L’horreur a son potentiel / C’est le cri / De la magie dans les décombres / Et comme un orchestre / Hurler sa joie noire quand on sombre / Hurler sa joie noire vers le ciel ».
Troisième album pour Andoni Iturrioz qui, dès le second, s’extirpait de son pseudo de Je Rigole pour recouvrer sa vraie identité. Le masque tombé, le burlesque s’estompe, qui fait place à une sombre dramaturgie, à des chansons noires ; ça Soulages dit-on. Comme quoi la chanson est plurielle, qu’elle n’est qu’un terme générique, un mot gigogne qui regroupe tant bien que mal des réalités fort différentes. Ici on ne savoure pas une suite de chansons indépendantes les unes des autres : on entre dans un récit quasi initiatique, mystérieux, sarcastique, une longue narration, un voyage pour nous immobile, une aventure littéraire et musicale. C’est une chanson qui ne dit pas, mais suggère, dont chaque phrase, chaque intonation, ouvrent la porte de mille interprétations. Ce n’est pas mieux ou moins bien qu’une chanson classique, c’est différent, c’est une autre fonction, autre relation. Un peu comme un tableau, tiens encore un Soulages, qui vous entraîne dans ses entrailles, son mystère, les craquellements de sa peinture, de ce que l’artiste a voulu exprimer, de ce que l’observateur s’en laisse conter.
On peut écouter sans fin, mais pas sans appétit, un tel et passionnant disque, tenter d’y entrer, se méfier et défier les possibles fausses pistes, être le Roi des ruines et évoluer dans ce dédale de mots et de notes. Être partie prenante de cette quête absurde, de cette mutation, de cette renaissance, tenant fièrement l’étendard de l’utopie en cette aventure artistique aussi sincère que désespérée. « Rampe existentielle, aboutissement personnel … Le Roi des ruines est l’album d’un voyageur devenu sédentaire. L’invitation est celle d’un voyage intérieur » en dit avec raison le biographe d’Iturrioz.
« La beauté que je vois / Tout à coup me regarde / Une force au fond de moi / Me jette à l’avant garde / L’horizon me détruit / A le suivre vraiment / Au désert de rêverie / Il me sert d’aimant / Je suis le roi des ruines ».
Au-delà du plaisir, presque charnel, d’écouter une telle œuvre, c’est une expérience nouvelle qui nous est ici offerte, qui va, comme rarement, au-delà de la stricte chanson.
Andoni Iturrioz, Le roi des ruines, 2019. Le site d’Andoni Iturrioz, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. En concert le vendredi 6 décembre 2019 à La Manufacture Chanson à Paris.
Très bel article en adéquation avec ce disque-autre ! Andoni sera en concert le 19/12 à L’International (7 rue Moret, Paris) avec le groupe Kistram.
En réécoutant en boucle l’album hier, paroles, musique et interprétation m’ont à nouveau frappée au cœur, et je vous fais part de mes réflexions… :
Au terme de son odyssée voyageuse, Andoni Iturrioz a posé ses rêves dans les ruines, dans une grand’messe apocalyptique. Son rire sardonique hurlant sa joie (noire) nous résonnera longtemps dans les oreilles. Les délices nocturnes ne sont-elles pas les plus belles ?
Mais pas d’inquiétude à avoir, son chant peut se faire d’extrême douceur, réécoutez Dans la rocaille, et Révolution « Et l’on ne tuera point / Et l’on ne pendra pas / Et l’on saura faire pouce / Au milieu des charniers / Les dieux s’inclineront / De tendresse sur nous » que nous vous avons déjà présentées.
Dit ou chanté, on est fascinés aussi par cet exceptionnelle odyssée musicale nourrie de voyages dans le temps et l’espace, dans cet orient, notre matrice, Judée, Jérusalem, Smara : « Le désert est la source / Le désert est en pente, il va vers l’intérieur / Et j’y roule comme une larme sur les joues de mon cœur /
Le désert est la source du vrai »