Tamara Dannreuther, inclassable et magnifique !
6 octobre 2019, Espace culturel, Banon (04),
Il est de ces blancs qui chantent encore après la dernière note… Ce silence avant applaudissements, celui qu’on sent dense, celui des spectateurs encore sous l’émotion, on l’a eu après chaque chanson de Tamara Dannreuther, ce soir-là. Malgré le vent glacé qui soufflait sur la ville de Banon, le public avait largement répondu présent à l’invitation de la dynamique association « Les Fées des J’art Dingues ». Ô combien privilégiés nous nous sentions d’entendre le premier récital en français de Tamara Dannreuther ! Auteure compositrice interprète, s’il vous plaît. On la connaissait déjà un peu, pas encore en solo, mais pour sa magnifique prestation avec Tagada Tsing (grand succès au Off d’Avignon), en divine diva british sur Le Radeau Cabaret, avec le récital « jukebox » Ol’d Tam et bien d’autres choses encore… Pour vous dire qu’on était plein d’a priori positifs avant ce concert, et très curieux d’en découvrir les nouvelles chansons.
Si ce récital est tout neuf, la scène n’a plus de secret pour elle et c’est tout naturellement qu’elle se pose devant nous, ses longs doigts rythmant les chansons d’une grâce indicible. Le rythme ? Oui, Tamara Dannreuther, comme elle se présente, « a baigné dans le folk, le rock progressif, la pop anglaise et américaine » (et même le metal !) et on retrouve cette influence dans une écriture musicale riche et originale, dans un jeu surprenant avec les rimes et les mots. Son style « chanson française, musique anglaise » n’appartient qu’à elle et, on peut le dire dès à présent, c’est un vrai grand coup de cœur ! Tout comme l’est son accompagnement au piano avec Eric Moulin, pianiste mais aussi arrangeur et compositeur aux influences jazz/rock qui font merveille dans ce récital. Les plus grands (Vassiliu, Higelin, Nougaro…) lui ont fait confiance et on comprend vite pourquoi en écoutant ses notes subtiles et élégantes, en voyant la belle complicité sur scène !
Alors, que chante-t-elle ? Là aussi, c’est profondément original, une fausse simplicité autour de « tranches de vie, de figures du quotidien », de vécus qui nous parlent et nous touchent tellement. Ne pas commence le récital et nous saisit, à la fois par le rythme et par l’originalité du sujet, une personne ayant du mal à s’adapter à d’autres univers : « Ne touchez pas mes affaires / C’est moi qui les gère / J’ai mis du temps à me plaire / Du temps à me faire ». Quant à la voix ! Ah, la voix de Tamara Dannreuther… On a le sentiment qu’on serait réducteur, quoi qu’on en dise ! Un timbre particulier, un velours subtil, une ampleur magnifique, une maîtrise absolue, qu’on apprécie peut-être encore plus dans ce récital en français, comme une cohérence à la découvrir en entier, avec ses mots à elle et sa musique. « Comment se parler quand tout autour de nous invite au silence ? » nous demande-t-elle, mise en situation avec Le repas de famille où sa belle voix puissante prend toute sa dimension sur « Parlez-vous, juste une fois / Pour briser un peu le froid / (…) ou je vais péter les plombs ! ». Elle écrit et chante comme personne les relations, les vécus, l’intimité, l’intériorité, les conflits, et c’est profondément sensible, humain… comme pour Besoin/envie, avec tout ce qui peut nous rassembler et nous séparer, tout ce qu’on peut vouloir pour soi et pour l’autre. Ou dans Reste, hommage délicat à ce qui construit une vie, la Barbie de l’enfance, le grand-père aux histoires de marine, l’ami-chanteur inspirant, l’amoureux avec qui on grandit « J’ai tant rêvé d’être toi/Reste encore un peu chez moi », autant de rencontres où on espère avoir laissé quelques traces : « Rêvez de moi quand je n’peux plus ».
À l’écoute du monde, à l’écoute de l’autre et de sa vie… Chaque chanson en est le signe, du magnifique L’histoire d’un monde « où les droits étaient des bientôt » à l’émouvant Pas encore, inspiré de sa longue expérience de chef de chœur auprès de seniors, mais surtout de ce qu’on peut parfois imposer à certaines vieilles personnes pour « leur bien », en passant par des Problèmes de riche « qui ne s’expliquent que par des manques de moi ». Chanteuse engagée ? Oui complètement, à sa façon. On sent à écouter cette écriture dense, originale, que se parler, respecter la planète, faire attention à l’autre, trouver sa voie, font partie de sa vie et qu’elle partage tout naturellement ce qui lui tient à coeur, sans qu’aucune leçon de vie soit donnée, en nous laissant attraper ce qui « nous parle ». Elle espère ainsi « faire partie de cette génération qui peut-être saura porter un regard positif sur les femmes qui décident de ne pas avoir d’enfants » avec de savoureux Nouveaux contes où elle imagine avec humour ce qu’aurait été la vie des princesses des contes avec la pilule et autres moyens contraceptifs ! Et Cambriole est une « tragédie shakespearienne actuelle » entre un richissime Roméo qui explose le bilan carbone et une Juliette pro Cop 21 qui ne jure que par son vélo, entre amour impossible et avenir de la planète…
S’il fallait en choisir un, nous prendrions comme maître-mot un des ses titres, Donner du sens, cette recherche qui donne de la densité à la vie : « A quoi puis-je donner sens / Quand il n’y a plus de croyances ». En la voyant devant nous pendant ce concert, drôle, émouvante, sourire éclatant, on se prend à se demander si nous sommes « complètement là », comme elle le dit. Et comment être soi, s’affirmer, comme dans L’aïeul où une jeune fille s’adresse à son papy « Laisse-moi où je suis, sans question, rien / Là où je suis bien ». Une quête qui n’empêche pas une bonne dose d’humour, car si Tamara Dannreuther a une solide expérience derrière elle, elle ne se prend pas au sérieux pour autant, bien au contraire ! Nos rires ponctuent le récital, elle joue sur scène, prend une posture de karaté pour prendre son élan en percussions corporelles avec Eric Moulin avant le délicieux Ca roule, sujet d’actualité avec les trottinettes et autres roulettes, où les rimes et les mots jouent là aussi avec les notes. Un jeu qu’on retrouve avec Un peu ne suffit pas, peut-être notre chanson préférée, à cause du sujet original (les gens qui sont « trop ») mais surtout de ce rythme d’un coup incroyable, de ces mains qui chantent avec elle, de ces mots qui sautent et virevoltent sur les notes endiablées du pianiste virtuose ! Le magnifique et mystérieux Orage finit le concert, en donnant toute son ampleur à la belle voix de la chanteuse, avec en rappel Le jardin emmuré, une étonnante berceuse de l’apocalypse « Il y a un endroit paisible/Où seul le plaisir est audible (…) où nous prélasserons alanguis ».
On sort de ce concert avec une réjouissante sensation paradoxale, celle d’une parenthèse magique hors du temps et celle d’un troublant plongeon dans notre monde… Avec une belle écriture ciselée, une musique incroyablement riche et une magnifique présence sur scène, Tamara Dannreuther nous offre une autre dimension de la chanson, originale, créative, qui nous donne des étoiles plein les yeux et le cœur, parce qu’on en est sûrs : ces mots-là, cette musique-là, cette voix-là, méritent un bel avenir !
Bientôt un E.P. de 4 titres ! Enregistrement en février et sortie à Lyon au printemps 2020. Retrouvez-la sur le site de TagadaTsing, Quartet vocal parodique, sur le site du Radeau Cabaret Comédie musicale de poche, ou sur l’instagram de Ol’d Tam, duo jukebox, où Tamara Dannreuther chante et joue de la basse. On recommande le tout !
Ses prochaines dates pour ce récital : le 5 mars 2020 au Sainbioz (Le Pleynet, 38, proche de Grenoble), le 6 mars à Grenoble chez l’habitant, le 7 mars à Lyon chez l’habitant.
En attendant d’écouter ce nouveau récital, découvrez-la sur un teaser du « Radeau Cabaret »
Ou un extrait du « Radeau Cabaret », avec le magnifique ALDONZA
Commentaires récents