Leïla Huissoud, la vie est un cirque
9 novembre 2019, MJC de Venelles,
Faire ou ne pas faire un enième article sur Leïla Huissoud ?
Ne pas parler de la petite Leïla, que j’avais mise en chanson du jour sur Nos Enchanteurs en 2013, six ans avant qu’elle ne rafle tous les prix de chansons, dix-sept ans et en paraissant douze, avec ses nattes, sa petite robe froncée, sa guitare plus grande qu’elle, avant The Voice, coupable d’écriture telle : « Mais la feuille blanche m’a lacérée / Quand j’ai posé mon histoire » ! Ou transformant Española en une véritable Odyssée. Un aplomb incroyable chez ce petit chaperon rouge capable de dévorer le loup…
Ignorer, seule journaliste présente, un concert de deux heures à la MJC de Venelles, en trio avec deux merveilleux musiciens de jazz, le contrebassiste Sylvain Pourrat, excellent aussi à la guitare, et le pianiste Thibaud Saby, également percussionniste, et ses trois techniciens, au son, à la lumière, à la régie ? Aussi discrets dans leur jeux de scène qu’efficaces dans leur expression musicale, ils laissent le premier rôle, comédienne autant que chanteuse à leur grande petite étoile Leïla, dans un show millimétré. Impossible de ne pas en parler !
Ce n’est pas pour rien que son dernier album, qu’elle nous donnera en intégralité à l’exception d’un titre, s’appelle Auguste. Comme chacun sait, ces clowns derrière leur nez rouge cachent leur tristesse et la profondeur de leurs sentiments, bien plus que les élégants clowns blancs. Longue série depuis Le(s) clown(s) (se meurt) de Giani Esposito au Clown de Paolo Conte en passant par Bravo pour le clown d’Edith Piaf ou ceux de Bernard Buffet comme de Picasso. Sous leur maladresse apparente se cachent leurs talents musicaux, leurs drames intimes ou leurs névroses, tels les inquiétants personnages de certains films à suspense. Celui-là ne fait pas exception, « Sourire crucifié sur la voix / Paraît qu’les gueules qui font marrer / Ont souvent les joues mouillées ». Symbole de l’artiste qui se maquille devant sa glace, que l’on aperçoit de dos et qu’il faut découvrir sous ses faux-semblants, symbole de Leïla.
Le contraste entre ce visage de jolie poupée aux yeux d’émail, cette silhouette gracile et forte à la fois de danseuse, accentuée par la tenue rouge et courte et le cache-cœur, cette énergie en scène, et tout ce qu’elle peut incarner dans ses chansons, est étonnant, détonant.
Il y a l’agilité verbale de La mineure, présentée comme « Les blagues de papa, jeux de mots et calembours dénués de toute subtilité » qui s’avèrent révéler sous la virtuosité de l’écriture, différents niveaux d’humour … subtils : « J’me mets au majeur, à la lutte au sol [...] je retire le capo / et vous finis sur le do ». Le culot des chansons de Patrick Font, marquées par l’interprétation de la peu conventionnelle Evelyne Gallet, l’Infidèle, La vieille. Qu’elle puisse de telle façon s’approprier ces chansons de femme ayant la maturité des sentiments, si ce n’est de l’âge, est stupéfiant. L’audace assumée d’Un enfant communiste, dont le rouge vient du sang des règles, conçu qu’il est pendant la période « indisposée », sur trois notes de l’Internationale : « Même si on tache tout l’étage / Y a pas d’égalité sans guerre / Y a pas d’amour sans dommage ».
Derrière l’humour, il y a les sentiments. Pas toujours roses, pour ses Frangines, pour son père (la transposition, poignante, de la Lettre à la Suisse de l’album) : « Tu m’as offert des chansons / Maintenant j’voudrais te rendre le crayon ». Les amours solitaires, « pour la beauté du geste », les fantasmes (bel emprunt du Cinéma de Nougaro) …
Et puis celles qui vous laissent le poil hérissé, la gorge nouée. Sur le sort des artistes « On s’est dit faut partir de rien / Et puis se faire tout seul » virant à la tragédie, ou cet état des lieux sans pitié, fervent plaidoyer pour l’Intermittière – une chanson d’Eric Toulis, encore un qui cache sa profondeur sous les rodomontades du clown – « Nos vies c’est que d’la rigolade / On bouffe pas des bornes, on se balade [...] Gare aux pays sans cigales / C’est la porte ouverte aux fachos ». Ou ce titre déjà remarqué, fait pour une amie dont l’amoureux s’est jeté dans le vent, où la douleur s’attrape à pleines dents : « Et puisqu’il est là dans son rire / Elle est fière de l’accrocher / Les dents qui font les sourires / Mordent la vie sans la blesser ».
Vous y alliez pour sourire ? Vous ne serez pas déçus. Mais vous en sortirez, plus encore, saisis au cœur.
Le site de Leïla Huissoud, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
En concert au Ninkasi Kao à Lyon le 14 novembre, le 15 au Festival Chants d’elle à Tourville la rivière, le 23 novembre au festival Les nuits du chat à Montpellier, autres dates sur son site.
La mineure en concert, 29 septembre 2019
L’Intermittière en concert, le 29 septembre 2019
Merci