Le chemin du chelou Chelon
Il y a parfois des trucs louches. Prenez Georges Chelon, bientôt 77 ans, 54 ans de carrière, à peu près 40 albums derrière lui (sans compter les publics et les compilations), et dont le grand public – pour peu qu’il ait les tempes grisonnantes – ne retient pourtant que deux titres : Sampa et Le père prodigue. L’histoire d’un chien qui revient et celle d’un père qui meurt. Ou l’inverse, je ne sais plus. Alors que son répertoire regorge de chansons méritant la renommée. Comme disait l’autre : Y’a quelque chose qui cloche là-dedans…
Toujours est-il que notre chanteur, s’il est proche de l’âge-limite pour lire Tintin, ne semble pas prêt de raccrocher les gants. Il arpente toujours les scènes bon pied, bon œil, bonne voix (la patine qu’elle a pris rend son chant clair plus émouvant encore) et ajoute inlassablement de nouveaux wagons à la locomotive de sa discographie.
Voici donc son dernier album, disponible depuis fin août. Le nom de l’opus (dei ?) intrigue d’emblée : Essayez Dieu. L’homme serait-il victime d’une crise de foi, comme tant d’autres lorsque le bout du chemin se laisse entrevoir ? Ce serait mal le connaître, lui résolument agnostique. La chanson-titre cultive l’ironie et se moque, non des croyants, mais de ces gourous qui présentent la spiritualité comme le remède à tous les maux : « Au diable la psychanalyse / Arrêtez-vous dans une église / C’est moins coûteux / Plus efficace qu’une corde / Plus propre à la miséricorde / Essayez Dieu ». Si d’aventure l’auditeur n’a pas le sens du second degré et prend ce conseil pour argent comptant, la chanson qui clôt l’album, Saint-Pierre, vient l’ébranler dans ses nouvelles convictions. Chelon s’y met en scène : fraîchement décédé, il débarque dans un paradis tellement bondé et fauché que son gardien des clés n’a guère d’autre choix… que de le ressusciter ! Dieu est humour…
Pour le reste, le chanteur nous charme avec 12 autres nouveaux titres. Des chansons d’amour et de souvenirs, des histoires de vieux amants (Doucement, doucement), des constats nostalgiques (En peu de temps), des espoirs dans la vie (Un jour de plus)… Mais aussi des révoltes intactes (Et vous, ça vous fait rire !), de la sagesse sereine (Le tonneau des Danaïdes), de la tristesse résignée (Tout est grand), de l’amitié par-delà la mort (Et la vie continue)… Sans oublier une chanson d’une actualité toujours brûlante (oserais-je dire…), sur la reconstruction de Notre-Dame, dont la destruction aura au moins servi à rassembler les esprits l’espace d’un chagrin.
Bien sûr, pas de révolution en vue. Ces nouvelles chansons s’inscrivent parfaitement dans la continuité de l’œuvre du chanteur et chacune d’elles aurait pu figurer sur n’importe lequel de ses albums précédents. Ceux qui aiment et suivent Georges Chelon depuis toujours y trouveront leur bonheur, ceux qui le découvriraient seulement – et pourquoi pas ? – auront une jolie porte d’entrée. De la chanson artisanale, à l’ancienne, bien construite, où les mots choisis avec soin se marient à des mélodies ciselées pour soutenir un propos. De la belle ouvrage assurément.
Enfin, signalons que l’album comporte une reprise du Père prodigue, revisité sur un rythme de samba. Sacrilège ? Tel était l’avis exprimé voici quelques mois par Michel Kemper. A voir. Par rapport à l’originale, cette version offre certes une certaine légèreté peut-être hors de propos, mais elle tempère aussi sa grandiloquence mélodramatique qui la datait quelque peu. A l’heure des familles recomposées, grandir sans père n’est probablement plus une source de douleur aussi intense qu’en 1965. Ne peut-on dès lors concevoir que le fils s’adresse à son père avec davantage de distance et de compréhension ? La discussion est ouverte.
En vérité, je vous le dis : le prochain week-end, faites une entorse à votre obligation dominicale et essayez plutôt Chelon !
Georges Chelon, Essayez Dieu, EPM/Universal, 2019. Le site de Georges Chelon, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Enfin ! Un bel article de POL DE GROEVE …. Une voix s’élève pour citer Georges CHELON et le mettre à ‘honneur !
Ce chanteur relève le débat sur la chanson française … Il appartient à ces êtres qui ont toutes leurs antennes déployées pour saisir entièrement « ce qui se passe » dans les coeurs et dans les têtes des humains ; et pour nous le dévoiler … en chantant !
Son souffle de voix n’appartient qu’à lui seul. C’est toujours un instant magique d’écouter du CHELON ! Chacun est concerné !
Je n’avais qu’une cassette de « Best of » (environ 1978) mais c’était une « cassette-amie » que j’ai usée …puis je l’ai cru éteint … et maintenant , je suis tout surpris de voir sa discographie , tout ce cheminement que j’aurais pu suivre … mais que font les radios pour ignorer un tel poète, délicat et sincère ?