Stavelot 2019, Venelles. Erwan Pinard, le flacon et l’ivresse
Les hasards du calendrier ont poussé NosEnchanteurs à deux reprises en deux semaines vers les mêmes rivages de la chanson. Celui qui fut ainsi l’objet de notre double prédilection, c’est Erwan Pinard. Dans deux formations différentes toutefois : à Venelles et en présence de Catherine Laugier, c’est en trio qu’il s’est produit, tandis que Pol de Groeve l’a applaudi à Stavelot dans une formule solo. Deux concerts pas tout à fait semblables donc. Cela méritait bien un double point de vue.
Stavelot, « Une chanson peut en cacher une autre », 18 octobre 2019,
Quand Erwan Pinard entre en scène, tout le monde se tait. C’est que l’homme en impose, avec sa grande taille, son allure sportive, sa barbe virile et son air pas forcément engageant. A coup sûr, il ferait peur aux petits enfants si d’aventure certains s’étaient égarés dans la salle…
Il détend toutefois d’emblée l’atmosphère en nous contant ses déboires du jour avec le rail (faire Lyon-Stavelot en train un jour de grève, bonjour la galère !) ou en nous lisant ce que le programme du festival a écrit de lui. Avant que de nous embarquer dans un premier morceau où il est question de recherche d’amour dans un supermarché. « Est-ce l’enfance qui s’en va quand les marchands s’en viennent ? ». Cette percutante entrée en matière situe à la fois le personnage et son art : le concert ne sera pas qu’une suite bien ordonnée de morceaux sans aspérités, l’improvisation sera de la partie, l’humour viendra désamorcer la tension, l’émotion nous mordra le ventre. Parés pour le voyage ?
Erwan Pinard ne donne pas dans la chanson confortable. Pas de couplets-refrain, pas de mélodie à chantonner, pas d’air entraînant pour frapper dans les mains. Son chant est un cri, ses textes des sentiments bruts. Qu’il éructe de son puissant organe ou qu’il murmure d’une voix cassée. Des chansons d’amours brisées (Cela fait trois jours que je n’ai pas gravité autour de ton corps céleste), d’amour à mort (Je reviendrai quand tu ne m’attendras plus / Quand tu ne m’atteindras plus), d’amour amer (T’en fais pas / J’envisage de revenir à toi tôt ou tard / Mais ce sera sans attache ou ce sera trop tard). Le désespoir est palpable, mais il est poli au rire cinglant.
Car on rit beaucoup à un concert d’Erwan Pinard. On s’amuse de ses interventions (quand il nous annonce, par exemple, que « la prochaine chanson est une chanson »), on s’esclaffe de certains morceaux (magnifique litanie de notes déposées dans les bulletins par les profs en manque d’inspiration ou forcés de travestir la réalité, le tout entrecoupé d’un refrain emprunté à La Corrida de Cabrel : « Est-ce que le travail est sérieux ? »), on rit jaune avec d’autres (Je ne dirai plus, qui démonte l’évolution langagière : je ne dirai plus « malpoli », je dirai « décomplexé » / Je ne dirai plus « je t’encule », je dirai « gagnant-gagnant »). Un spectateur m’a dit très justement après la prestation : « c’est comme si Bashung faisait du stand-up ! ». Excellent résumé, tant musical que scénique.
Au fond, un concert d’Erwan Pinard ne se raconte pas. Ou pas bien. Il se vit. Allez le voir.
POL DE GROEVE
Erwan Pinard, par amour et par colère
5 octobre 2019, MJC Venelles,
Erwan Pinard Trio (avec les frères Aubernon, Lionel à la batterie de folie, et Jérôme aux guitares, mais aussi Paganini du violon électrique : une vraie formation rock) nous fait l’honneur de remplir à lui seul le plateau de Venelles.
Nous avons ainsi pu bénéficier d’une soirée inoubliable où Erwan a tout donné. Son cœur, ses tripes, comme sur sa pochette d’album, et la suractivité de son cerveau révulsé par l’absurdité de notre monde. Tout « Obsolescence programmée » , plus de nombreux airs de « Sauver les meubles », et des improvisations, entre désespoir et drôlerie.
Personne pour démonter comme lui avec virulence la banalisation des faits divers mais aussi des drames, au plus près de de l’actualité « A part ça, quelles sont les nouvelles ? A part ça, comment ça va ?! Tranquille », la langue de bois des administratifs comme celle de nos élites « Je ne dirai plus j’t'encule je dirai gagnant-gagnant », de l’Education nationale : « Je ne dirai plus élève mais sujet apprenant ». Le professeur de musique qu’il est aussi est même capable de bâtir toute une chanson d’appréciations scolaires : « Shaïma est une emmerdeuse de première – non – ne doit pas se disperser »
Il y a du Bashung, du Loïc Lantoine dans sa façon de parler, de chanter l’amour, dans sa douceur soudaine – qui cache parfois la noirceur de ses propos – , dans ses cris de fauve blessé. Ce sera tout au long, « Thèse Je t’aime, anti-thèse : Casse-toi », jusqu’à cette Solitude, de Purcell, chantée comme le font les hautes-contre, insérée en beauté au milieu de la liste des occupations virtuelles sur les réseaux sociaux. Tout ça à cause du portrait chimique du cerveau amoureux (« C’est prouvé sur les mulots ! »). L’urgence rock et cynique de J’ai l’amour compense la douce déclaration accompagnée du violon, la lumière rose se posant sur la guitare de celui qui a des escarres au cœur…
Sa façon de tisser les mots et les idées, de tresser les proverbes qui s’entrelacent pour créer nouveau sens est saisissante, que ce soit dans les satires ou dans les sujets plus personnels, qu’il mêle d’ailleurs intimement. Tel Roméo « Devant ta façade j’suis tombée en rade », il marine dans son eau de boudin, piégé dans ses Queues de poisson : « le fond de l’air effraie le fond de ma pensée ». Le temps de l’absence fait Compte à rebours hilarant et terrible, dans une ambiance rock déjantée, des événements cosmiques ou tragiques du monde arrivés pendant ce temps : « 360 000 enfants morts de faim dans le monde […] Un an soit… douze cycles menstruels et un tour du soleil ».
En final (Va pas te tromper de) Colère donnera lieu à un vrai morceau de rock, avec ses soli instrumentaux. L’ultime rappel, déchiré, fait penser à Mano Solo : « Il suffirait de dire je t’aime encore […pour] que le cri redevienne encore une chanson d’amour… »
CATHERINE LAUGIER
Le site d’Erwan Pinard c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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