Stephan Eicher, homeless singer
Insaisissable Stephan Eicher. Nous l’avions quitté en février avec Hüh !, euphorisant recueil d’anciens titres recuisinés à la sauce balkanique, il nous est déjà revenu ce 20 septembre avec ce Homeless Songs, nouvel album entièrement composé d’inédits, successeur attendu de son Envolée de 2012. Et comme à chaque fois, en total contrepied du chapitre précédent, puisque la fanfare romano cède à présent la place à un orchestre de cordes. Un artiste en liberté, c’est si rare…
La pochette, déjà. Loin de la traditionnelle (et vendeuse) photo de l’artiste, celle-ci reproduit un portrait de Greta Garbo revisité par le plasticien allemand Gregor Hildebrandt, où l’actrice semble s’offrir à nous derrière une vitre ruisselante de pluie. Le rapport avec notre chanteur helvétique ? Allez savoir… Simple histoire d’amitié entre les deux hommes, qui ont déjà œuvré ensemble ? Probablement aussi, mais admettons cependant que le mystère de la star suédoise lui sied bien au teint.
Pareil pour le titre de l’album. Quelles sont ces « chansons sans abri » ? Allusion possible à ses déboires avec son ancienne maison de disque, qui ont entraîné ce si long silence discographique, laissant sans toit tous les morceaux composés durant cette période. Mais aussi affirmation de sa liberté de ton, l’œuvre d’Eicher n’étant pas de celles qui se rangent sagement dans une case préfabriquée.
14 chansons composent ce nouvel opus. La plus courte fait 44 secondes (Broken, dont les paroles tiennent en une phrase : Everything is broken), la plus longue 6 minutes. Des chansons en français écrites par son comparse Philippe Djian, en anglais ou en bernois (de la plume de l’écrivain suisse Martin Suter). Des chansons folk magnifiées par des orchestrations amples aux allures de musique classique et portées par la voix unique de leur interprète. De l’émotion brute à même de serrer les cœurs les plus endurcis.
Comme toujours, les relations et le couple sont au centre des chansons. Romantique écorché, à l’instar d’un Gainsbourg, Stephan Eicher ne nous parle que d’amour, le seul sujet qui en vaille la peine, nonobstant les cicatrices qu’il laisse à son départ. Il sera donc question d’amours auxquelles on veut s’accrocher : « Oh, je me sens de vous, prisonnière / Faites de moi ce que vous… » . Mais l’effort semble vain : « Inutile de me tendre / Une impatiente oreille / Le goût de toi me manque / Mais rien ne se réveille », l’amour consumé ne renaissant pas de ses cendres (« Que la justice intervienne / Qu’on soit démis de nos chaînes / Que le ciel vire au lilas / Et que tu te lasses de moi / Je n’attendrai pas »). A quoi bon s’acharner si l’amour de l’un se heurte à l’indécision de l’autre ? Que faut-il pour trouer ma chair / Que faut-il pour te satisfaire / Monsieur « Je ne sais pas …trop ». Resteront le regret et le souvenir, « où que tu ailles, où que tu sois », le chagrin et l’amertume (« J’entends de désenchantées mélodies / Ton parfum s’est éventé / Je suis si déprimé »)… Dans cette grisaille sentimentale, l’humour absurde de Né un ver est donc un intermède bienvenu, tandis que La fête est finie, interprété en trio avec Axelle Red et Miossec jette un voile pudique sur ce monde meurtri de tant de violence.
Homeless Songs marque le grand retour aux affaires de Stephan Eicher, qui signe avec ce disque d’une mélancolie élégante un des meilleurs albums de sa riche carrière. La transformation scénique débute à Paris, à l’Opéra Comique, les 18 et 19 novembre, suivie d’une tournée en France, Suisse et Belgique. Pour avoir goûté déjà au plaisir de l’Eicher à maintes reprises, on vous le dit de confiance : courez-y.
Stephan Eicher, Homeless Songs, Polydor, 2019. Le site de Stephan Eicher, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Si tu veux (que je chante)
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