Batlik, réussite de la défaite
4 octobre 2019, Le Pax, Saint-Etienne,
Tout est ordonné, parfaitement rangé. Chaque chose bien à sa place sur cette scène délimitée par une guirlande de lumière. Nickel. Le regard se porte d’abord sur cet alignement de guitares sèches, a priori toutes accordées. Autant de guitares car justement Batlik, dont la chemisette est raccord avec le visuel de son disque, prend du temps à l’accordage. Et, malgré le nombre d’instruments, accorde et accorde encore, tant que cette manie devient presque un gag. Le public s’y prête bien, la communication entre l’artiste et lui n’est pas un vain mot ; ça fonctionne d’une rare complicité. Il faut dire que cette salle-écrin n’est pas bien grande, la proximité évidente.
Qu’il soit dit qu’il y a au moins deux manières d’apprécier un tel concert. Ou vous avez déjà écouté le disque L’art de la défaite, le dernier album en date de Batlik ; mieux encore vous vous êtes documenté sur son pourquoi, son comment. Sur ses origines. Ou vous y allez sans la moindre information, juste pour l’idée de Batlik, une irrésistible envie, une flatteuse rumeur, le plaisir de le (re)voir en scène. Vous pouvez effectivement ne rien savoir de Cioran, l’inspirateur de ce présent répertoire, n’en pas faire le lien avec ce que vous venez d’entendre. Et tout de même apprécier. Le niveau de lecture en sera différent mais qui vous a averti qu’il vaut mieux consulter la page Wikipédia consacrée à ce philosophe poète roumain, d’éventuellement lire ses bouquins, avant de rentrer dans la salle ?
Car même si toutes les chansons ne sont pas gorgées de texte jusqu’à ne plus rien y comprendre, que certaines ont un développement bien maigre qui peut faire figure d’incantation, un concert (particulièrement celui-ci) de Batlik est toujours grande aventure, dans le débit et la poésie des mots. Lui a une place enviable dans la chanson : il en est simplement ailleurs, à mille lieux des chants communs. De fait, son public l’est aussi.
Ses mots, ses rimes, ses scansions, son accent si particulier, sa voix déjà dansante, hypnotique, cet art déjà suffisant à lui-même, qui ici sert de contrefort à un délicat accompagnement musical (guitare, batterie, basse, guitare électrique) que surplombe et prolonge la superbe voix d’Alice Animal…
Fort de l’écho de Cioran, Batlik nous initie à l’art de la défaite. Paradoxe, chaque chanson y est réussite, presque perle. Si défaite il y a, Batlik est un magnifique looser, qui aura tout appris de l’échec : « Tout l’art de la défaite est là / Dans ce demi-tour sur soi ». Confessions qui servent de base à autant de pistes philosophiques qu’il développe. Comme quoi la chanson peut parfois porter de tels débats, que tout peut se chanter : « Fallait pas, fallait pas l’écouter / Y’avait qu’à, y’avait qu’à raconter la gaieté… »
Les mots grouillent dans le sombre. L’anthologie défaitiste n’est certes pas parmi ce qui se fait de plus souriant. Mais, dans ses regards, ses postures, son talent, notre troupe secrète aussi l’exact antidote. Plaisir à l’état pur, tant que le concert nous semble bien trop court. Et qu’après on s’y replonge, on s’y prolonge, dans son disque, dans Cioran, histoire d’encore plus entrer dans l’intime de Batlik, en ses ressorts les plus profonds.
Le site de Batlik, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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