Tous égaux : un petit tour d’Huma nivelle, et ça repart ! [3/3]
Bon, ça serait peu dire que la nuit fut courte, mais si le camping de la Fête de l’Huma était réellement fait pour dormir, ça se saurait ! Après un frugal petit déjeuner (tripes d’aurochs bouillies au pastis, marcassin fourré aux marshmallows et risotto de saindoux à la graisse de casoar faisandé), nous nous rendons à nouveau le cœur léger et le pas (un peu) lourd au village du livre pour retrouver une intervention de Daniel Mermet, lequel accueille ce matin Olivier Besancenot, que l’on ne présente plus, et Jérôme Rodriguez, leader des Gilets Jaunes n’ayant visiblement, lui aussi, dormi que d’un œil… À défaut d’être primesautiers, les échanges ne sont pas inintéressants et nous amènent tout doucement jusqu’à l’heure d’honorer chez nos amis bretons un copieux plateau de fruits de mer, partagé en fort agréable compagnie, ma foi. Bien ragaillardis, nous nous installons pour un moment post prandial attendu : le concert de soutien offert par Thomas Pitiot et ses amis, carrément sur la Grande Scène, juste avant Youssou N’dour. A la lumière du trajet du griot blanc d’Aubervilliers, on imagine sans peine quel rêve de gosse cela doit représenter pour le sieur Pitiot. Ce plateau-ci est également fort réjouissant, puisque se produit sur scène, en sus de Thomas Pitiot, la crème de la chanson indépendante avec entre autres Jules, Alexandra Gatica, Kacem Mesbahi, Florence Naprix ou Wally et ses inénarrables chansons courtes. Les titres ont parfaitement choisis pour l’occasion et rendent des hommages vibrants à Brel (Jaurès), Lavilliers (Les mains d’or), La Mano Negra (Malavida), Higelin (Tête en l’air) ou Nougaro (Bidonville). Oui, plus que jamais, donne-moi ta main, camarade… Après une flamboyante reprise de l’impérial Tiken Jah Fakoly (Ils ont partagé le monde), c’est Renaud, le camarade-bourgeois, camarade-fils à papa qui se fera kidnapper de bien belle façon un Hexagone d’anthologie en version collective reggae. Pardon ? Plaît-il ? Oui, oui, Hexagone comme la magnifique revue trimestrielle sur la chanson dont le nouveau numéro vient précisément de sortir, je vois que le lectorat de Nos Enchanteurs a également des belles lettres… C’est donc à présent l’heure de rater Youssou N’dour, tout comme nous aurons raté aussi le ténébreux Marc Lavoine, au grand dam de certaines de mes co-festivalières.
C’est que sur la petite scène, un sacré énergumène se prépare à malmener les institutions et la bien-pensance avec le brio qu’on lui connaît, vous aurez reconnu ce sale gosse de Didier Super ! D’entrée, le ton est donné : « Nous on est des amateurs, mais sur l’Arche de Noé c’était des amateurs et sur le Titanic des professionnels ! » Ah, Didier, c’est tout un poème… Sans aucun doute un des artistes les plus libres qui soit, capable de balancer les pires horreurs pour que les spectateurs, confrontés à leurs propres réactions, fassent le tri eux-mêmes comme des grands. Alors oui, bien sûr, ça passe ou ça casse ! Vêtu d’un improbable survêtement orange, épaulé par ses choristes de choc, il s’attaque sans fioriture à d’âpres reprises punkoïdes de Brel (Quand on a que l’amour), Salvador (Jardin d’hiver) ou Dalida (Il venait d’avoir 18 ans), chantant aussi faux qu’il dit vrai, ce qui, chers petits amis vaut bien mieux que l’inverse, convenons-en de concert… Je vous passe les plus trash de ces transitions entre les chansons, la moindre d’entre elles étant susceptible de s’attirer un procès de la part de la Licra, la SPA, les mouvements LGBT et quelques autres encore. Témoin, tout de même, cette dédicace de No woman, no cry aux « féministes gauchistes » : « Ce n’est pas en pleurnichant que vous deviendrez un jour des adultes ! ». Une autre ? Allez, d’accord, plus subtile qu’elle n’en a l’air en pleine Fête de l’Huma : « Réclamer la démission de Macron, c’est comme aller au McDo et réclamer la démission de la caissière… » Didier Super, le chanteur que vous adorerez détester !
Changement d’ambiance sur la scène Zebrock toujours écrasée de soleil (non, non, la pluie ne nous manque pas…), avec le groove tout aussi ensoleillé d’Aziz Sahmaoui et son University of Gnawa. Entre musique arabe et subsaharienne, c’est toute l’Afrique qui joue dans cette cour neuve revisitée un irrésistible funk griot primitif et pourtant si moderne, une musique tribale, musique trop belle, musique tripale portée par guembri, n’goni, mandole ou karkabous. Une kora enchantée déverse des notes cristallines et célestes, comme arrachées à une harpe de sable, jouée par les doigts de sable d’un vent divin… Lentement, irrésistiblement, une belle transe collective monte doucement sur le titre Paradis fripon, qui est déjà tout un programme… La foule subjuguée se laisse emporter par des vagues de fond profondes et belles, semblables à celles qui devraient pouvoir en toute logique porter vers nos terres d’asiles nos frères de misère… À mes côtés, ma voisine, à peine couverte d’un voile étincelant de pudeur opaline, se déhanche lascivement sans fin sur des rythmes éternels venus du fond des âges et porteurs de tout un futur fondamental… Et si la vérité de la vraie vie était quelque part dans ces lancinants parages ? Et s’il s’agissait là du véritable métier à métisser précieux à ce cher Thomas Pitiot ? Choukran, mister Sahmaoui, du fond du cœur, choukran !
Mais voilà l’heure de retraverser une nouvelle fois les longues allées bigarrées de la fête pour rejoindre une dernière fois la Grande Scène devant laquelle la totalité des festivaliers semble s’être donné rendez-vous. Quelques 60.000 personnes s’apprêtent à casser la baraque, au bas mot, comme on dit outre-Atlantique. 60.000 petits cochons à la rencontre du Grand méchant Zouk ! C’est que le rendez-vous est d’importance, et que même si ce genre musical n’est à priori pas trop ma tasse d’athée, Kassav sur scène, c’est tout de même inratable ! Le groupe au grand complet, emmenés par les inamovibles Jocelyne Béroard et Jacob Desvarieux, enchaine d’emblée les rythmes débridés et chorégraphiés à l’envie. C’est bien simple, la grande scène semblerait presque trop petite pour accueillir la tribu d’au moins quinze musiciens (cinq chanteurs, deux guitares électriques, deux percussionnistes, un batteur, un saxophoniste, deux trompettistes, deux claviers…). Avec une ferveur intacte incroyable, le groupe fout littéralement le feu à la pauvre prairie desséchée, inflammable comme de l’amadou sans Mariam. Ma voisine, pourtant venue tout droit du bout du monde et quelque peu habituée aux musiques ensoleillées, se sent pourtant irrésistiblement venir des ondulations tropicales au creux de son (charmant) bassin parisien… Tout autour de nous, des hordes désordonnées se déhanchent et communient sous la chaleur écrasante d’un soleil d’automne qui n’a rien à envier à celui des iles lointaines.
La gigantesque vague de poussière diapre alors totalement la foule immense des célestes paillettes d’une improbable bénédiction céleste, lorsque s’envole nonchalamment un hippocampe d’hélium aux reflets métalliques s’apprêtant à rejoindre le soley brûlant chanté au même moment par une Jocelyne Béroard survitaminée en vitamines D. Décidément, ça fonctionne du feu de Dieu, et lorsque s’impose à nous un kitchissime solo de synthé aussi straight qu’une plainte de biniou désaccordé, même ça, ça passe, bordel
Oui, décidément, rarement l’Humanité aura aussi bien porté son nom, témoins les incroyables passerelles humaines et musicales qui se sont déployées durant ces trois jours de folie contagieuse, de partages fraternels, et peut-être bien d’utopie (oui, on ne relit jamais assez Thomas More…) De quoi, vraiment, se sentir vivants, tellement vivants. Vous ne savez pas quoi ? La vie, finalement, on ne pense Kassav !
Et demain est un autre jour…
Lire le premier épisode de cette trilogie Humanesque, c’est ici. Et le second, c’est là.
Retrouvez les photos exclusives de Vincent Capraro à la Fête de L’Humanité : Didier Super ; Chansons d’Humanité (Thomas Pitiot Band) ; Youssou n’Dour ; Kassav.
Aziz Sahmaoui :
Kassav :
Thomas Pitiot, en soutien au quotidien L’Humanité :
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