La Grande Sophie, les jours s’en vont, elle demeure…
Le temps qui passe est probablement, avec l’amour, le sujet le plus couru en chanson. Certains, comme Souchon ou Renaud, s’en sont même fait une spécialité. La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, écrivait jadis Simone Signoret. Allez savoir. Elle est en tout cas devenue un leitmotiv chansonnier et, symptôme d’une époque où tout va (trop ?) vite, elle frappe de plus en plus tôt : Bigflo et Oli ne chantent-ils pas déjà, du haut de leur vingtaine d’années, la beauté de leur enfance passée ?
Pourtant, si la fuite du temps est le thème central de Cet instant, huitième album de la Grande Sophie, point question ici de verser dans le regret facile et l’émotion tire-larmes. Ces heures disparues à jamais mettent davantage en rage la récente quinquagénaire qu’elles ne la poussent à la mélancolie. Dépit de celle qui doit tristement constater qu’un ancien amant ne la reconnaît pas (J’ai réalisé / Que j’avais changé / J’ai réalisé / Qu’on avait changé / L’un face à l’autre). Colère devant ce miroir trop cruel, qui la pousse à ce constat implacable, balancé avec hargne sur une rythmique rap : Tu sens que tu n’es plus la même / Tu sens que tout part quelque part…
Cette froide lucidité se colore pourtant des teintes de l’espoir. Dans la colonne positive du bilan des années écoulées, on peut en effet cocher la beauté réconfortante de la durée, celle dans laquelle s’inscrit son amour de jeunesse toujours ardent : Alors le temps / Ne nous a pas trahis / Encore fidèle / Aujourd’hui / Nous unit. De même, le passé ne doit-il jamais occulter l’avenir qui s’annonce, bien plus porteur et galvanisant : Hier j’ai laissé passer hier / Hier j’étais bien hier / Hier j’ai voulu rester hier / Mais hier j’attendais demain. Et d’en tirer une leçon de vie, certes pas des plus originales, mais qu’il est bon de ne jamais perdre de vue : Ne soyons pas ridicules / Voyons-nous encore demain / Une vie on n’en a qu’une / Toi et moi prenons-en soin.
Pour porter ces chansons sur le passé, des arrangements d’aujourd’hui. Comme un défi, par goût du risque et besoin de renouveau, La Grande Sophie a délaissé ses guitares pour composer toutes les musiques de l’album au piano. Celui-ci est donc logiquement mis à l’honneur dans les arrangements, ouvrant souvent la chanson, quand il ne prend pas tout l’espace (très beau piano-voix que le Où vont les mots ou l’instrumental en solo-piano Huis clos). Avant ensuite de laisser place à l’électro et aux sons synthétiques, pour des rythmes groovy à souhait (imparable refrain de Une vie, ou le disco à la -M- de Missive).
Avec Cet Instant,à coup sûr son meilleur disque à ce jour, La Grande Sophie se renouvelle avec bonheur, nous offrant une œuvre courte (9 morceaux pour une durée totale de 29 minutes) mais essentielle, dans laquelle elle se dévoile sans fard. Le portrait en creux d’une artiste pudique et attachante, qui achève son disque par une émouvante et délicate confession, interprétée a cappella d’une voix claire : Quelque chose en vous / Me rappelle qui j’ai été / Quelque chose qui ne reviendra jamais. Quand il est si joliment décrit et chanté, le temps qui passe est plus facile à supporter.
La Grande Sophie, Cet instant, Polydor/Universal, 2019. Le site de La Grande Sophie, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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