Debout sur le Zinc : et Vian, passe-moi le punch…
A ma gauche, Boris Vian, écrivain, chanteur, parolier, musicien, comédien, critique musical, scénariste, traducteur, pataphysicien, et certainement encore bien d’autres choses. Né il y a presque 100 ans, disparu depuis 60 ans. Une vie vécue à toute vitesse et quelques chefs-d’œuvre immortels à l’arrivée.
A ma droite, Debout sur le Zinc, groupe de folk-rock-musette-fanfare, pilier de la scène alternative française, qui fête ses 30 ans d’existence discographique (leur premier album éponyme est sorti en 1999).
Quand les seconds se penchent à nouveau sur l’œuvre du premier – en 2012 déjà, sur base de son Abécédaire, ils avaient créé disque et concert à destination du jeune public – , cela donne un album sobrement intitulé Vian par Debout sur le Zinc et c’est totalement réjouissant.
Difficile pourtant a priori de faire du neuf avec du Vian. Sa gloire posthume est en effet telle que les spectacles autour de ses chansons semblent être devenus le passage obligé pour toute académie ou école de chant qui se respecte. En 2009 déjà, à l’occasion des 50 ans de sa mort, était paru un double album-tribute, réalisé par Fred Palem, On n’est pas là pour se faire engueuler, qui réunissait la crème de la chanson française – de Juliette à Zebda en passant par Thomas Fersen et même Carla Bruni – et que tout amateur du Bison ravi se doit de posséder. Ledit aficionado sera à présent bien avisé de s’emparer de cette nouvelle pierre à l’édifice.
Quinze chansons composent ce copieux CD. Quelques incontournables, mais sans abus, revisités avec à-propos : Je suis snob prend la forme d’un rock ‘n roll vintage, à l’image de ceux que Vian avait écrits avec Michel Legrand pour Henri Salvador (le fameux Rock ‘n Roll Mops…), tandis que Le Déserteur se mute en opportune folk-song pour Pete Seeger en herbe, avec banjo et violon prédominants, en total accord avec le thème de la chanson (le héros ne va-t-il pas par les chemins ?). Parée d’oripeaux dignes d’un théâtre forain, Quand j’aurai du vent dans mon crâne, immortalisée par Serge Reggiani, a les allures funèbres d’une macabre cérémonie, L’âme slave est, comme il se doit, bouillonnante de rythmes de l’est et de violon tzigane, tandis que la désopilante Ne vous mariez pas les filles, asticotée par une virevoltante clarinette, se révèle d’une brûlante actualité.
Toutefois, l’intérêt majeur de l’album réside dans les reprises de chansons bien moins connues, nous permettant de les (re)découvrir d’une oreille quasi neuve. Dans cette catégorie : La Valse jaune, chantée jadis par Mouloudji. A l’origine valse lente aux accents poulbot, elle devient dans les mains du groupe une poétique ballade ensoleillée, légère comme une brise d’été, entraînante comme une chanson de Sinsemilia. Coup de cœur aussi pour la méconnue Il oublia d’oublier d’oublier, petit conte d’humour noir, dont la version actualisée, chantée naïvement à la manière d’un Philippe Katerine, est tout simplement épatante. Citons enfin De velours et de soie, toute en sensualité et douceur, ou L’année à l’envers (interprétée en son temps par Jacques Higelin), lancinante et surréaliste remontée temporelle.
Enfin, last but not least, c’est carrément cinq chansons nouvelles qui nous sont offertes. Debout sur le Zinc a en effet doté de musiques inédites quelques-unes de ces paroles millésimées 50’s, tel le célébrissime Je voudrais pas crever, toujours aussi fracassant d’urgence et de fulgurances poétiques (ah, ces chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver et ces singes à cul nu dévoreurs de tropiques…). Nouvelles musiques aussi pour des textes déjà chantés par d’autres (Il est tard par Holden, On fait des rêves par Magali Noël…), ou restés sans accompagnement jusqu’à ce jour (J’te veux, surprenante expression du désir féminin). Des textes plus graves, dans de nouvelles versions à la mélodie affirmée, qui rendent justice à la musicalité des mots de Boris Vian, interprétées avec la distance nécessaire. Il est édifiant à cet égard de comparer leur version de S’il pleuvait des larmes avec celle de Juliette Gréco, tout en pathos et théâtralité, totalement inécoutable à notre époque…
Reprendre Vian aurait pu être un projet casse-gueule et opportuniste. Les six comparses de Debout sur le Zinc ont pourtant relevé haut la main le défi et leur nouvel album s’avère être dans la totale continuité de leur discographie. Pas question pourtant ici de boucles électro ou d’Auto-Tune, mais bien d’instruments traditionnels maniés par de solides artisans : guitare, contrebasse, clarinette, percussions, violon, trompette, mandoline et banjo se sont alliés pour donner un coup de ripolin aux chansons de Boris Vian. La modernité à tous crins n’a certes pas cours ici, mais à quoi servirait-elle ? Boris Vian est définitivement éternel. Debout sur le Zinc en apporte une preuve supplémentaire.
Debout sur le Zinc, Vian, DSLZ/Because, 2019. Le site de Debout sur le Zinc, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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