Nicolas Jules, quand la musique est bonne…
Il le dit de lui-même, Nicolas Jules, et il a bien raison, ce n’est pas de la « chanson qui colle ». Entendre : pas sirupeux, pas guimauve, pas variétoche. A l’écoute de son dernier album, Les Falaises, on abonde complètement dans son sens ; la chanson de Nicolas Jules, ça ne se donne pas comme ça, ce n’est pas de la ritournelle qu’on se mettrait à seriner toute la journée en regrettant d’avoir ouvert la radio. D’abord, parce que Nicolas Jules ne passe pas sur les grandes ondes (et c’est bien dommage, on le regrette pour les auditeurs) et ensuite parce que la chanson de Nicolas Jules, c’est tout le contraire, ça vous décolle bien les esgourdes…
Ah, ne vous y trompez pas, c’est de la bonne nouvelle ! C’est que nos pauvres oreilles sont tellement encombrées de bruits et musiques diverses, et pas forcément des meilleures, qu’elles ont parfois bien besoin d’un bon coup de nettoyage… Allez hop, l’ordonnance de rentrée c’est un p’tit coup de ce septième album dont on sort tout ragaillardi… On y retrouve les complices musiciens et chanteurs, Roland Bourbon à la batterie et Nicolas Moro à la mandoline, on y découvre les musiciens Pascal Thollet et Ivan Herceg, au mixage également. Quant à Nicolas Jules, il est à tout, il chante, il joue, il enregistre, il réalise et il produit. A évoluer dans cette « strate » moins demandée de la chanson française, on doit y développer sans doute des compétences tout-terrain dont on salue la belle polyvalence…
Au cas où vous auriez encore un doute sur le style de la maison, Aux innocents marque le ton dès le début, c’est du rock, c’est du bon son pur et dur ! Et l’humour, noir et second degré évidemment -est-il seulement nécessaire de le préciser- se glisse déjà dans la première chanson : « Après l’amour on fume / Comme après un crash d’avion »… On savoure la belle voix, toujours rugueuse et élégante à la fois, sur Bas du front une chanson d’(après) amour un poil décalée : « J’espérais tes rayons / J’espérais ton soleil / J’ai du tomber / Sur un soir d’éclipse » ! Sur Missiles, la mandoline s’accorde à merveille avec la guitare et la batterie pour mettre en valeur la voix et la chanson. Notons qu’il y a toujours quelque chose de chaloupé dans ces chansons-là ; la musique « sonne » si bien, que même si on est dans la brume et la nuit et que nous « regardons l’espoir / Dans la nuit s’allumer / Comme un briquet Bic », je vous fiche mon billet que les plus réservés ne pourront pas résister… Ces rythmes-là nous attrapent par leur précision et leur inventivité diaboliques !
Quant aux paroles, aussi sombres et poétiquement hermétiques que d’habitude, on gagnera autant à les déguster avec la musique qu’à les lire dans le livret, tout en noirceur lui aussi… On vous le disait, Nicolas Jules ne se donne pas comme cela ! Magicien ? Une capsule coquine se glisse avant les grasses guitares et la batterie de Colle ton oreille, chanson d’amour s’il en est, où « Les percussions du cœur faut pas qu’ça joue dans le lointain » ; on imagine plus loin Nicolas Jules en « powête » maudit et solitaire de Gang : « Avec toi je suis tout seul / Et sans toi je suis un gang » qui « Sur la bombe de ton cœur / Je dors d’un œil ». Petite marque de fabrique, on retrouve le phrasé particulier de Nicolas Jules avec La photo, un rock bien carré là encore, qui fait mentir ceux qui croient que la chanson française « à texte » se résume à du guitare/voix ! Résonne avec Le crayon la mélodie qu’on entend depuis un mois en « teaser » sur les réseaux sociaux ; dérision toujours, on en découvre les paroles : « Je suis un groupe de rock / Tout seul dans ma chambre d’hôtel / Mais je ne casse rien / Je compte mes souvenirs » ! Une longue confidence quasi-hypnotique, troublante, clôture cet album, où Nicolas Jules chante « Les ratures les entailles / pour ne pas tomber », parle de « Je n’écris bien que ce qui fait mal / J’aiguise mes ratures / Je chante la bouche pleine de mots sales / De mots qu’on jette / Car chanter la littérature / C’est faire de la confiture »…
Ne vous attendez pas à des rimes formelles, la liberté est passée par là ; en même temps la musique est au cordeau, si belle qu’on ne pourrait rien lui enlever, légère ou massive, mais jamais anodine. Quelle importance de ne parfois pas tout saisir ? On slalome entre « une vérité qui court au plafond » ou « ce putain de vent qui déviait mes petits missiles » ; la musique des mots se mêle à celle de la voix, se mêle à celle des instruments, et tout cela concourt à se sentir léger, tout simplement, comme quand on a écouté un bel album, foisonnant, original et terriblement indispensable. Et le titre, me direz-vous ? Ah peut-être, en écoutant bien, une vision dans le rouge baiser d’une des chansons ? Cherchez vous aussi, au fil des paroles…
Coup d’œil à la pochette qu’il faut absolument admirer, Thibaut Derien à la photo et Nicolas Jules à la dégringolade sur d’étranges falaises d’acier… En trouverons-nous beaucoup, des chanteurs se prenant une (fausse, mais quand même) gamelle en couverture de leur CD ? Voilà, cela résumerait presque tout de Nicolas Jules, si cela était possible : la photo est belle légèrement barrée et énigmatique, c’est drôle de cet humour qui pique et ne se voit que dans l’œil. Allez donc le voir en concert, vous retrouverez ça dans le sien…
ANNE LEFEBVRE
Nicolas Jules, Les falaises, autoproduit pour le label Ursule, 2019. Le site de Nicolas Jules, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là
Deux vidéos du précédent album Crève-silence, en concert au Pan Piper, Paris :
L’eau noire
Joconde
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