Festival Chansons sous les étoiles, jazz en nougaresque au firmament
6 juillet 2019, Bouc Bel Air, Esplanade du Château.
Il soufflait fort ce soir là dans les micros et dans les voiles, sur l’esplanade du château de Bouc Bel Air « Au cœur du souffle le silence » pour la deuxième soirée de ce nouveau festival de Bouc Bel Air,comme la veille présentée par Christian Duneau, sous le parrainage spirituel d’Andrée et Louis Chedid.
La soirée a déjà une tonalité jazz, ouvrant la voie à la soirée jazz du 12 juillet qui a eu lieu aux jardins d’Albertas, puisque consacrée à Maurane (de son répertoire des années 80-90) et à Nougaro.
Comme pour la première soirée, totale parité, ce soir nous commençons par Fabienne Bou, connue localement pour son activité de professeur de chant à l’ école de musique de Bouc Bel Air, mais également sur la région comme pianiste et chef de chœur. De Maurane elle a la voix puissante et de velours, qui domine les éléments, et même le son de deux petits avions qui passent dans le ciel encore bleu. « Différente quand je chante, mon âme explose, me métamorphose ». Le vent lui joue des tours, renversant les partitions, faisant voler les volants de sa robe à pois…
Alors que les chansons les plus jazz sont chantées sur bande-son (Danser, Ce que le blues a fait de moi, Du mal, du mal ou Tu es mon autre chantée en duo avec la choriste Edith Martin), là encore ces sont les plus intimes, qu’elle accompagne au piano, qui emportent l’émotion.
Tout pour un seul homme : « Qui es-tu devant moi farouche et sûr de toi tu fais mouche », ou plus encore Ami ou ennemi : « Ceux qui m’ont tuée d’un sourire / Car parfois, parfois c’est bien pire / Un ami qu’un ennemi / Comme une sentinelle dans la nuit / Je suis debout, je vis ma vie » ou Ça casse. Les chants les plus désespérés sont les chants les plus beaux… La très attendue Sur un prélude de Bach bénéficie aussi de l’accompagnement au clavier, de même que cette chanson moins connue de Peter Lorne, de 2003, Petites minutes cannibales chantée en rappel qui incite à prendre plus de temps pour savourer la vie.
Après la pause de rigueur c’est au tour de Jean-Marc Dos Santos, avec José Landa à la guitare, connu comme musicien de jazz et accompagnateur de chansons, et l’excellent pianiste Sylvain Petit qui accompagne depuis peu le chanteur sur ce récital.
Jean-Marc dos Santos est loin d’être un inconnu pour moi. Après une carrière de journaliste, communicant, il a fait tous les métiers autour du spectacle (agent de Bernard Lubat ou Manu di Bongo, réalisateur, régisseur pour Claude Nougaro, éclairagiste, directeur de Théâtre, responsable audiovisuel) avant de passer en 2005 de l’autre côté de la scène comme guitariste autodidacte et interprète, puis auteur.
Depuis 2011 il est le directeur de l’association « Chansons pour mémoire » qui a comme objectif la préservation de la chanson et de la poésie de langue française. Doté d’une mémoire colossale, d’une voix grave à grain soigneusement entretenu à la cigarette, il dispose d’un répertoire quasi illimité : créateur de spectacles autour d’Allain Leprest, Bashung et Nougaro, il chante aussi, entre bien d’autres, Bernard Joyet, Dick Annegarn ou Richard Desjardins, conte et dit les poètes tel Bernard Dimey.
Il n’est pas étranger à ma passion grandissante pour le répertoire français : c’est un passeur.
Parallèlement il chante Tom Waits et d’autres chanteurs anglo-saxons du répertoire rock-folk, et, d’origine brésilienne, le répertoire de la bossa nova, samba et autres musiques apparentées qu’il chante dans sa langue d’origine, souvent avec Pierre Barouh qui fut son ami.
La parole poétique et charnelle de Nougaro, son jazz mêlé de musiques latines ou africaines, ne pouvaient que l’inspirer. Dès 2011 il élabore un premier spectacle pour le Festival de la Chanson française d’Aix, en présence et avec l’appui d’Hélène Nougaro. Le spectacle a voyagé en Belgique, à Paris, et j’ai pu assister à un second en 2014 en Provence. Celui de 2019 a encore évolué, mûri et m’a vraiment impressionnée. Une chance réelle pour ce premier festival de Bouc Bel Air.
Dos Santos ne ressemble à Nougaro ni par la silhouette, ni par la voix et, ce que j’apprécie plus que tout, ne cherche pas à l’imiter. Au jeu des ressemblances, il ferait plutôt penser à Yves Montand avec sa silhouette interminable et son jeu expressionniste. Qu’il dise, conte ou chante, il joue de son corps qu’il tord ou plie, de ses mains qui nous apportent Nougaro, fidèle et différent à la fois.
Son appétit des mots, il est avide de le transmettre, même ici auprès d’un public un peu « débutant » en chanson, qu’il faut initier. Le concert s’ouvre avec un texte ambitieux. « Il dit que le langage c’est physique et si la poésie oublie cela, elle n’est plus la poésie… ». La guitare flamenca de José Landa arpège dans la lumière bleue qui lui fait auréole de ses cheveux blancs, et la voix de Dos Santos s’élève… Le Petit Taureau prend une douceur inattendue, soulignant son courage et son sort tragique : « Peut- être, deviendrai-je un mythe / J’ai rêvé d’un taureau mort / Sous une pluie de marguerites ».
Les chansons plus connues, ponctuées du piano, font ressortir toute la tendresse de Nougaro, nous donnent à réécouter chaque mot, à le savourer comme il le fait, passent de la ballade au swing, et de la java au jazz. Tout autant que son ironie de mâle méditerranéen teintée d’auto-dérision.
L’accent est mis sur toutes les transpositions de standards de jazz, Dansez sur moi, Amstrong, débouchant sans pause sur Sing-Sing, où le chant du bagnard de Nat Adderley devient jeu de mot, jeu de chant sur l’enfer de la prison : « Ta chanson dure un peu trop ».
Il faut redécouvrir aussi Il faut tourner la page : « Aborder le rivage / Où rien ne fait semblant / Saluer le mystère / Sourire / Et puis se taire » ou Vieillesse, sur la musique de Bernard Lubat, chansons profondes sur des thèmes universels.
Dos Santos chante cette dernière assis au bord de la scène, voix qui se brise comme l’a jouée 28 fois de suite Nougaro, nous conte-t-il, numéro de comédien ; numéro d’acteur aussi, de Cinéma « sur l’écran noir de mes nuits blanches » ou plus encore avec ce véritable film à suspense condensé, sur le Blue Rondo à la turque de Dave Brubeck, A bout de souffle (le hold-up). Prouesse vocale et flot d’émotion final : « le soleil, la mer bleue / Toute la vie, toute la vie / Toute la vie… ».
Bidonville permet à Dos Santos de libérer toute son inspiration sur sa patrie de cœur, le Brésil, en français et en portugais : « Bientôt, bientôt on pourra se parler camarade… » – Obligado !
Et la chanson politique de Chico Buarque se mue en chanson d’amour : « Tu verras / Tout recommencera ». Sa plus belle ? J’ai un penchant pour Rimes : « Rimons rimons belle dame / Rimons rimons jusqu’à l’âme / Et que ma poésie / Rime à ta peau aussi. » …
Le final se permet des chansons et poèmes peu connus ou inédits. L’île Hélène est dédiée à la femme de Nougaro, avant la lecture d’un poème prémonitoire de Claude *« Bon appétit, la table est servie », et un texte personnel écrit sur un thème de Chick Corea comme pouvait le faire Nougaro, accompagné par les deux instrumentistes, « Et toi, prends-moi dans tes bras… » scaté et dansé…
En rappel un texte de Jean Cocteau que Nougaro avait interprété à la télévision avec Jacques Higelin, L’acteur, écrit à l’origine pour Jean Marais : «… Allons, du courage, debout, encore un jour, roule et range dans ton cœur les meubles de l’orage. », et le « A tes seins » du thème de jazz Saint-Thomas de Sonny Rollins. Toulouse qui avait été dite en début de concert « dénougarisée » sera l’ultime rappel.
Longue vie à ces Chansons sous les étoiles ! Un tel départ appelle des spectacles de qualité pour l’an prochain, nous sommes plein d’attentes…
*NB Un projet d’édition de recueil de poésies est en cours. Les archives de Claude se trouvent à Cucuron, suite à des amitiés que Claude avait nouées à Apt.
Le site de Jean Marc dos Santos (pas mis à jour), c’est ici.
Pas d’enregistrement de ce spectacle Nougaro malheureusement, à l’interprétation extrêmement sensible et juste, dont la vidéo suivante ne donne qu’un faible aperçu.
Vieillesse
Conférence musicale de Jean Marc dos Santos aux Conservatoire d’Aix en Provence le 28/09/2013 avec : Pierre Barouh, Jean Fauque, Robert Ebguy et Olivier Taffin
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