Eric Mie. Croquons sa Pomme !
Avouons que, typographique- ment parlant, un recueil de chansons, c’est chiant. Le titre de la chanson, le texte qui suit, couplets et refrain, puis une autre chanson à la page suivante, et ça jusqu’à la fin du bouquin. Bon, on peut varier le caractère et le corps, la justification du texte (centré ou au fer à gauche), le format du bouquin peut être différent, la qualité du papier aussi ; le livre peut s’inscrire dans une collection ou s’en foutre totalement mais, fondamentalement, c’est triste.
C’est dire si ce nouveau recueil (le deuxième) des « chansons à Mie » renouvelle un peu le genre et change la donne : c’est illustré à chaque page de sa Pomme, son héroïne à lui, en général nue et dans des postures que j’en dis pas plus… Mine de rien, ça fait deux pistes de lectures possibles : l’amoureux des vers pourra justifier qu’il consulte fréquemment ce pieux ouvrage par l’attrait des rimes qui toujours tombent pile poil. Et le naturaliste amateur étudiera la pilosité de Pomme qui rime toujours à quelque chose, enfin je crois.
Laissons un instant Pomme, ses fesses replètes et sa luxuriante toison, pour nous intéresser aux textes ; soixante-quinze chansons en sept chapitres : De l’Est, Révoltées, En forme de conte, Personnelles, Obsédées, Qui se croient drôles, Tristo-philo. Car Mie n’est pas qu’obsédé des reliefs de Pomme : il est aussi poète aux jolies formules. Et insoumis, espérant ces jours de grand changement et les barricades qu’il faudra dresser à cet effet qu’il appelle de son chant : « Il fut un temps / De grand vacarme / Où l’opprimé / Prenait les armes / J’aimerais à présent / Conjuguer au présent / Tant qu’on agonise / Ce temps des cerises ». Bien plus tard, le temps venu du repos du guerrier, Pomme grignotera sans doute ces délicieuses cerises. Même si il sait faire lit de la tendresse, les chansons de Mie sont loin d’être toutes des caresses, des promesses de baisers et d’étreintes. Elle sont tout aussi des flèches au curare qu’il conviendrait de faire apprendre aux gilets jaunes pour égayer leurs actes futurs, les colorer de refrains. Tiens, comme cette chanson J’ai tabassé un flic (dédiée à l’autre insolent chanteur qu’est Romain Dudek, qui avait osé commettre un tel outrage à l’encontre de Renaud) : « Pour venger les manifestants / Heureux j’ai tabassé un flic / En repensant à ce gros tas / De fumier, aux brutalités / Au nom de la raison d’État… »
Parce qu’il n’est rien (qui le connaît ? est-il passé chez Drucker ? a-t-il eu sa chronique sur Télérama ?), Mie peut tout se permettre et ne s’en prive pas. Il débride et déride la chanson : j’ose dire qu’il lui rend sa raison d’exister. Dans la filiation des Corbier et des Font, il nous propose une chanson forte en gueule, qui a de la cuisse.
Nous pouvons nous satisfaire, dans cette mise en page si attirante aux traits énamourés, des chansons d’Éric rien qu’en les lisant : utile en cas de panne du lecteur CD ou du réacteur nucléaire de proximité. Ensuite, prenez le temps de commander les disques qui vous manquent. Mieux : allez le voir en scène !
Éric Mie, Si tu veux te changer en Pomme, Éditions de la Pigne 2019, 100 pages, 10 euros. Le site d’Éric Mie, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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