Le crépuscule de Fréhel
13 juillet 2019, salle des fêtes, Antraigues-sur-Volane,
Comment dit-on biopic en parlé théâtral ? Car, une fois n’est pas forcément cutume, nous sommes au théâtre ce soir. Et ce soir, au terme d’une nuit d’alcool et de souvenirs, de verres mendiés vidés cul sec, ressassant ses amours et drames passés, Fréhel va mourir dans un sordide hôtel de passe.
C’est ce moment où toute sa vie défile. Fréhel a connu la gloire, les clameurs ; elle n’a plus pour elle que le silence d’un taulier qui vide sa bouteille comme elle, vide sa vie, la répand, boit la tasse, s’y noie.
« Où sont tous mes amants / Tous ceux qui m’aimaient tant / Jadis quand j’étais belle ? / Adieu les infidèles / Ils sont je ne sais où / A d’autres rendez-vous / Moi mon cœur n’a pas vieilli pourtant / Où sont tous mes amants ? »
Josiane Carle a naguère écrit cette pièce. C’est aussi elle qui joue le rôle de Fréhel. Il y a la ressemblance physique avec la chanteuse en fin de vie, même si Fréhel est morte à 61 ans et que Carle en a 81. Carle personnifie le regret d’une vie désormais à conjuguer à l’imparfait et la terreur face à l’inéluctable mort qu’elle appelle de ses vœux. Il y a sous nos yeux une performance d’actrice.
L’alcool extirpe les souvenirs, joies et regrets. « Si tu veux qu’j't’en pousse une, tu rinces ! » Plus le bougnat (Alain Besset, par ailleurs metteur en scène de cette pièce) sert de mousseux et plus ça pleut, ça pleure et ça larmes. En peignoir, Fréhel égrène ses titres de gloire, ses grandes chansons, ses prestigieuses scènes, ses souvenirs. « L’premier qu’a voulu ma vertu / Pour me posséder n’a pas eu / A fair’ de siège / Il n’a eu qu’à m’ouvrir les bras / Et mon amour est tombé là / Comm’ dans un piège ». Ses amours, donc, même ceux quelque peu bancals du côté cérébral : « Tel qu’il est, il me plait / Il me fait de l’effet / Et je l’aime / C’est un vrai gringalet / Aussi laid qu’un basset / Mais je l’aime… » Ses rivales… Damia, ou encore cette salope de Mistinguett qui lui ravit au lit Maurice Chevalier ! Ce n’était plus pour elle, la pomme. « Car pour être heureux comme / Ma pomme / Ma pomme / Il suffit d’être en somme / Aussi peinard que moi ! » La haine est toujours tenace envers le chanteur au canotier.
Monologue biographique, avec pour unique témoin le mutique bougnat de ce bar. Huis clos, deux acteurs. Trois, en fait. Telle Colombine, il y a cette ombre de blanc vêtue (Valérie Gonzalès) qui, à l’accordéon comme au piano, va reprendre, va égrener les grands titres de Fréhel, florilège de mémorables chansons : l’immanquable Java bleue, Où sont mes amants, Pleure, Comme un moineau, C’est une gosse, La môme caoutchouc qu’elle interpréta avec Gabin…
C’est Fréhel à la dérive, au passé qui titube. C’est la dérive de l’incontinence, des amours qui ont fui, de cette vie qui se rince le gosier pour la der des ders. Une pièce touchante que tous, à plus forte raison les amateurs de chanson, devraient voir. Voir et entendre, célébrer cette grande dame d’un passé qui n’est plus. Et l’applaudir encore.
Si, d’aventure, dans son épicentre stéphanois du Chok-Théâtre ou en tournée comme ce soir-là, vous avez l’occasion d’applaudir cette pièce, n’hésitez pas une seconde. C’est une sacrée tranche de vie, même si c’est la dernière tranche.
Cette pièce sur le site du Chok-Théâtre, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Fréhel, c’est là.
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