Barjac 2019. Dans la joie jusqu’au cou !
Sauvé dans En scène, Festivals
Tags: Barjac 2019, Les Fouteurs de joie, Nouvelles
1er août 2019, Esplanade Jean-Ferrat, festival Barjac m’en chante,
S’il est une étiquette pour une fois conforme au produit, c’est bien celle de (je cite) « Les fouteurs de joie » : la promesse est amplement tenue. Nul doute d’ailleurs que c’est la saveur de l’année, à Barjac comme partout. Là où nos cinq gais lurons passent, la morosité trépasse. Je suis sûr que parmi leurs multiples vertus, ils retardent aussi la chute de cheveux, éloignent l’alzheimer, retendent les poitrines fatiguées, font revenir l’être aimé, vous feront gagner aux jeux et, in fine, fuir la faucheuse : dites à la Buzyn, préposée au déremboursements de médocs (je parle là de pharmacopée, non de ces bouteilles millésimées que la CPAM bêtement ignore) qu’elle peut valider le traitement.
Et si de tristes sires pensent que ce n’est pas ça la chanson, c’est qu’ils n’y comprendront jamais rien. Car, en une heure et demi, nous passons ici par toutes les émotions que cet art peut dispenser et je vous jure que le spectre est large.
Le spectacle s’appelle Des étoiles et des idiots. Prédiction en tout point conforme : la nuit est effectivement parsemée d’astres qui brillent. Quant aux désastres… Les instruments attendent qu’on les sollicite, pendus sur scène comme dans une ballade de Villon. Nos cinq zigotos (Christophe Dorémus, Nicolas Ducron, Alexandre Léauthaud, Laurent Madiot et Tom Poisson, ce dernier qui, le temps d’un congé sabbatique, va bientôt se faire remplacer par Thomas Pitiot) vont alterner des chansons que rien ne raccroche vraiment. Y’a même du grave, des vrais morceaux de très grave dedans : des immigrés qui se noient en mer, le réchauffement climatique (Tu me parles alors que l’eau coule : superbe !), des chômeurs payés trois fois rien, des plans sociaux et des crédits sur le dos, la mal-bouffe, chantés avec le cynisme qu’il faut, comme si nos Fouteurs de joie étaient à la chanson ce que les Rapetou sont à la bédé. Est-ce donc cela l’hilarant promis ? Comment sommes-nous, à rire bruyamment d’une histoire d’amour foirée au comptoir d’une baraque à frites, ce qui dans la vraie vie est gras et triste à mourir ? Mais notre quintet est irrémédiablement désopilant, truffé de gags, plus d’ailleurs dans l’état d’esprit, dans sa mise en scène (on parlera même, si si, de chorégraphie) que dans les sujets abordés… Pas de repos ni répit, une chanson chasse l’autre, pas même le temps pour l’infortuné Madiot de renseigner et embourber le touriste égaré sur l’itinéraire à emprunter…
Nos Fouteurs de joie se griment comme dans un conte, au pire dans des cauchemars, jouent les bouffons (« Rions encore mais la bêtise des tyrans m’afflige »), parfois s’imaginent être dans une comédie musicale et s’en débrouillent bien, très bien. Funambules de la scène, toujours ils retombent sur leurs pattes. Faux rigolos mais vrais comiques, chanteurs doués et musiciens brillants – oh, cet accordéon qui guinguette à souhait et ferait valser même un cul de jatte ! –, dramaturges experts, il savent tout faire. Qui plus est à la perfection, au poil près. Tout est millimétré : c’est bien simple, vous ne pouvez que vous émouvoir (parfois), rire (souvent), applaudir (frénétiquement), voire pleurer une guitare cassée, sauvagement achevée sous des cris d’effroi. Rions un peu en attendant la mort, dit-on ; eux rient beaucoup et invitent même la mort à leurs côtés, qu’ils démystifient, caricaturent et dégomment. Vous aviez rêvé de la nuit des morts vivants au château de Barjac : vous l’avez eue ! (*)
Ce fut le final de Barjac m’en chante 2019. Comme dans un feu d’artifice où on tire à la fin les plus belles fusées, pour le souvenir. Là, c’est du pareil au même, comme des milliers de lingots d’or projetés dans l’air (ne rêvons pas, ce n’est que du papier doré, mais). Mais dans l’esprit c’est ça : la richesse, l’exubérance même, d’une chanson formidable dans le fond comme dans la forme. Très en forme, d’ailleurs.
Le site des Fouteurs de joie, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà rit d’eux, c’est là. Le titre de cet article est emprunté à la bande dessinée de Gotlib et d’Alexis, parue chez Audie en 1978.
(*) Hasard sans doute, on retrouve également des zombies sur scène dans l’actuel spectacle de retour des Wriggles.
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