Barjac 2019. En ligne Lemire
Sauvé dans En scène, Francis Panigada, L'Équipe
Tags: Barjac 2019, Nouvelles, Romain Lemire
La salle Trintignant est bien petite pour contenir tous les postulants spectateurs d’un tel récital dont les vents favorables, qu’ils nous viennent d’Avignon ou de la Capitale, ont tous rapporté la flatteuse rumeur. Ici, la fenêtre de tir, on n’ose dire la mire, est ces Effeuillages poétiques qui portent si bien leur nom, spectacles intimistes enchâssés dans les épais murs de pierre du château. C’est un bien bel écrin pour ce Gaston moins le quart, cette parenthèse enchantée presque hors du temps, décalée, drôle et quelque peu désuète, rythmée par piano et radio, boites à musiques, tourne-disque, cloches et autres trucs qui clochent pas pareil.
Pour vous le faire revivre, nous avons choisi de publier à nouveau ce qu’en disait déjà Francis Panigada, il y a trois ans, sur NosEnchanteurs :
Il est des spectacles rares pour lesquels l’appellation tour de chant ou concert ne suffit pas à en traduire la subtile complexité et à restituer la palette multiple de talents offerts au spectateur. Celui de Romain Lemire en fait partie : son « Gaston moins le quart » nous le fait découvrir auteur, interprète, comédien, poète, conteur… et nous entraîne, sans crier gare, sans un temps mort, dans les « rêveries d’un paumé solitaire ».
C’est au sortir de la nuit que Gaston apparaît, lunaire, en pyjama et tasse de café à la main, entonnant au seul son d’une boîte à musique une ode à ces « petites heures du matin où on oscille entre tout et rien ». Le personnage est campé, toujours à côté, surpris d’être dans le feu des projecteurs, l’air perdu, éberlué. Une radio diffuse des nouvelles et une météo improbables, c’est la saint Gaston… présentation : « Je suis sûr de rien / Mais ça au moins j’en suis certain / Je doute de tout / Est ce que c’est une vis ou un clou / Tout ce que j’ai appris / J’ai beau le savoir faut que je vérifie / Et j’ai peur du noir / Mais pas la nuit / Gaston moins le quart… »
A partir de là, Romain – alias Gaston – ne nous lâche plus. Seul en scène, s’accompagnant au piano, guitare, accordéon ou ukulélé ainsi que d’autres objets hétéroclites : électrophone, machine à écrire, cloches… il nous embarque dans son univers entre états d’âme, histoires et portraits ou le quotidien se charge de doute, d’étrangeté, de rêve.
Dans le monde de Gaston, il y a le flux de la vie, cette vague qui monte et descend, qui nous chahute, nous emporte, nous fait apaisés ou violents (On est des océans), ce désir de mer qui est aussi un espoir d’ailleurs, celui qui emporte Cécile Ballutin loin d’une vie monotone et sans fantaisie.
Dans l’esprit de Gaston, il y a la nostalgie, celle des disparus (On dit les morts absents) évoquée avec pudeur et tendresse, celle qui nous fait flâner au rythme d’une vie, au son des noms des rues de Paris, celle du souvenir des Amours de jeunesse.
Dans le cœur de Gaston, il y a l’amour, idéal, lumineux, Plus vivant qu’un vitrail, bien souvent incertain qui se ponctue d’un point, celui qu’on attend ou qu’on redoute, qui se vit dans l’absence seulement remplie d’un écran cathodique (Elle).
Dans la tête de Gaston, il y a de drôles d’idées, le bilan dérisoire d’une vie qui varie entre le trop plein et le rien, le sentiment de la fragilité de cette existence que l’image de la mort dans un miroir rend définitivement Provisoire.
Dans l’âme de Gaston, il y a la poésie, celle des écrits de Romain finement ciselés, celle empruntée à Dario Fo et Aragon pour dire « malgré tout que cette vie fut belle ».
Dans l’inventaire de Gaston, il y a mille et une trouvailles, bien des surprises, de l’humour, de la créativité, du rythme et de la précision. Car telle est la vertu de ce spectacle : Romain Lemire sait ici bâtir un univers mouvant sur une structure solide, un travail méticuleux qui ne laisse rien au hasard pour offrir toute la place à la spontanéité, à l’imaginaire. Rien n’est vain ni futile : utilisation intelligente des bandes sons, des accessoires, justesse des textes introduisant ou ponctuant les chansons, tout est au service du personnage de Gaston, fantasque, décalé mais où chacun se retrouve avec ses doutes, ses rêves, sa fragilité, son incertaine humanité.
Le site de Romain Lemire, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
S’il est un artiste
S’il est un poète de notre temps
S’il est un grand bricoleur joyeux
S’il est un homme fragile pour une terrible raison
S’il est un fidèle
Il est Romain Lemire.
Romain Lemire développe un univers poètique essentiel par nos temps fatigués, stressés, Amer. J’aimais déjà Romain et là maintenant j’aime aussi Gaston. Il est de ma famille.