Pourchères 2019. Jérémie Bossone… à l’abordage !
7 juillet 2019, La Chansonnade, Pourchères (07)
Un vent de révolte souffle sur La Chansonnade, et pas seulement à cause d’une météo tourmentée. Après l’âpre poésie urbaine de Mehdi Krüger (voir la chronique de Michel Kemper) dont le slam magnifique a été longuement applaudi, place à la seconde grande et belle claque (artistique, il va de soi) de la journée. L’orage nous obligeant à nous réfugier dans la « Bergerie » pour ce concert (on ne parlera jamais assez de l’incroyable efficacité de toute l’équipe du festival pour assurer ce changement dans les meilleures conditions !), nous allons même en profiter de très près, quelle chance… Ici, Jérémie Bossone est connu des passionnés de chanson, depuis la quinzaine d’années qu’il chante, ses multiples prix et ses deux derniers albums en Coup de cœur de l’Académie du disque Charles-Cros.
Mais foin des récompenses, ce n’est pas pour ça qu’il est apprécié, aimé, ici à Pourchères ; si le public attend patiemment dans la bonne humeur, c’est parce qu’il sait qu’il va voir et entendre du très bon ; il se régale même déjà, à en croire les commentaires. Alors, si on participe un peu aux coulisses et aux balances puisque tout se fait devant nous, c’est bonus ! Tout de noir vêtu, Jérémie Bossone nous dit en riant : « Tout ça, normalement vous ne le voyez pas ! » entre deux réglages avec son frère Benjamin aux claviers. Grand sourire : « Une petite chanson pour attendre ? » et il entame Gottingen, la voix est magnifique, l’interprétation sublime, quel apéritif qui nous en ferait même oublier Barbara…
La pluie ? Quelle pluie ? On ne l’a pas longtemps entendue avec la guitare et les claviers des BossoneS, et le ton est très vite donné dès les premières notes avec Petits rois : « Je ne serai pas leur pigeon, p’tain / Il faudra qu’ils s’en trouvent un autre ». Résonne cette voix unique, rare, qui brandit haut la colère face aux « grands seigneurs sans noblesse » qui « ne sont grands que par nous / Parce que nous sommes à genoux », frère de La Boétie qui l’écrivait déjà dans son Discours de la servitude.
Rebelle ? On ne sait si le mot suffit, « il faut se faire pirate », et c’est plus une liberté pleine et sans limites, viscérale et instinctive, qui se réclame sur cette scène, emplie de la folle énergie du chanteur. Si on est vite pris par les rythmes qui envahissent la « Bergerie », il faut aussi écouter les paroles, en savourer chaque mot ! Comme le dira une spectatrice aux cheveux blancs, complètement séduite par le concert : « Tu comprends tout ce qu’il dit, il a une très belle voix et une super relation avec le public ! ». Un univers riche et foisonnant qui touche ainsi toutes les générations…
Si un doute restait, on le sait maintenant, le rock à la sauce Bossone a toute sa place ici au festival de Pourchères, et le public marque le rythme sur Patricia avec « Mon cœur, ne sois pas triste / Y a tout sur cette petite planète bleue ». C’est qu’on est éclectique quand on est passionné de chanson française « à texte » engagée. A « texte » ? Pour les chansons de Jérémie Bossone, la question ne se pose même pas, tant les mots sont là, scandés ou chantés, mais toujours d’une créativité incroyable, d’une inventivité toujours en ébullition. « Engagé » ? A fond. Et bien au-delà du poing brandi, il ne s’agirait pas de l’enfermer dans un genre ; chanson ou rap, « il faut aller plus loin quitte à déranger, bousculer », dit-il dans une interview à propos de son livre Grimson glory. Alors Rien à dire ? Les affres de la création « C’est fou ce que la nuit devient noire / Putain, quand on n’a rien à dire » contrediraient presque le flot de mots sur lequel nous voguons avec lui, avec eux.
Rarement l’attention a été aussi palpable dans un concert… D’une chanson au lent début comme La Tombe avec « Qui es-tu / Toi qui dors là sous la pierre ? » soutenu magnifiquement dans son envolée par Benjamin Bossone, pour aller vers le long rap de Spirale, où l’amour ne résiste pas au destin malheureux de l’artiste… Fascinant Bossone qui vit à 200% avec ses tripes ce qu’il chante sur scène ! De la violence ? Oui, mais « Plus on met de violence en chanson, plus on en enlève dans le monde ! Je crois qu’il ne faut pas avoir peur de la violence en art », nous dit-il. Pour enchaîner avec Mon enfance, magnifiquement interprété, sa préférée de Barbara ; une chanson qui devient sienne sous les cordes de sa guitare et les inflexions d’une voix tendue, âpre.
La loose toujours, et on la retrouve avec Scarlett, où le chanteur noie dans le whisky ses pannes d’inspiration, pour retrouver un souffle nouveau avec Loin devant, rap épique où Kapuche fait son apparition, double inspiré, libre et doucement timbré, qui survit sur un radeau « Vous avez la gueule des vaincus / Moi je suis loin devant ».
« J’aime quand les musiques se télescopent comme ça », nous lance-t-il, et on y trouve pourtant une étrange unité, celle de la liberté absolue des mots… Là où se retrouve aussi Jérémie Bossone, sans aucun doute, qui n’aimerait pas qu’on l’enferme dans cette image d’artiste torturé, et dont le seul moteur semble d’explorer encore et encore, de se transformer et de bousculer autant l’ordre établi que les étiquettes. Et nous ? On y trouve un sacré bol d’air, dans cet océan avec Kapuche et L’Aventure, rap au long cours où Jérémie nous prévient : « On n’est pas obligé de tout comprendre, on y revient, c’est bien aussi ». Et c’est la tempête qui déferle ! Une énergie qui ne se restreint de rien, et surtout pas d’une scène plus petite que prévu ! La tension est à son comble, aucun geste ne semble gratuit ni de trop, nous sommes juste scotchés sur place, et à la fois emmenés dans cette aventure, dans ce flot de mots où « On a du vent dans les voiles / Et les étoiles en haut ». Oui, nous aussi on part loin !
En rappel, le public lui réclame le long et sublime Cargo noir qu’il nous offre bien volontiers en fin de cette traversée magique. Bonheur, tout simplement. Puis « Nous sommes pris dans la mélancolie» et nous sommes pris tout court, par ces mots et son humour, par sa présence et son énergie, par ce tourbillon de liberté qui vient de souffler là et nous réveiller.
Alors, « Tiens bon le cap » Bossone/Kapuche ; si les « rois de la finance » font peu de place à cette belle chanson, nous c’est le tapis rouge qu’on te déroule. Sur la guitare, on peut lire « J’y suis toujours ». Nous aussi on est là, et on est sûrs que le public te suivra où que tu ailles. Respect, pirate !
Le site de Jérémie Bossone, c’est ici ; Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là
Jérémie Bossone est le 6 septembre à Sézanne au Festival Grange, puis le 14 et le 15 septembre au Festival Chantons sous les toits, à Albi puis à Compolibat. Autres dates sur son site.
Voir le reportage complet de Marie Olivier sur les Chansonnades ici.
Très beau papier sur l’énorme, l’immense Bossone.