Barjac 2019. Âpre émoi, le déluge…
Sauvé dans Festivals, Franck Halimi, Les événements, Québec-Acadie
Tags: Allain Leprest, Anne Sylvestre, Anne-Marie Panigada, Annick Cisaruk, Barjac 2019, Jehan, Marion Cousineau, Nouvelles, Picon mon amour
Samedi 27 juillet 2019, 17h30,
Par Franck Halimi,
L’air de rien, ouvrir un festival comme « Barjac m’en chante » n’est pas un geste anodin. Mais se doit d’être un geste juste. Et, parce que ce qui s’y joue constitue l’articulation d’un acte poétique et d’une vision politique, il était logique que, après l’introduction du nouveau Président de Chant Libre (association présidant aux destinées du festival), Antoine Agapitos (successeur de l’immarcescible Jean-Michel Bovy), Jean-Claude Barens (le discret, mais ô combien efficace, directeur artistique) cède la parole à Édouard Chaulet, un maire au verbe haut en couleurs et en coupe-leurres.
Et leurs deux discours sont tellement parlants et racontent tellement bien leurs visions et positions respectives que, plutôt qu’en tirer de fumeuses exégèses, nous avons préféré vous les livrer ici in extenso. Parce qu’ils sont pétris d’esprit, d’humeurs, d’humour et de talent. Et parce qu’ils racontent formidablement bien, et chacun à leur manière, la place que, au fil du temps, la chanson s’est forgée dans cette terre gardoise aux contours aussi accidentés que la météo du jour.
En effet, le ciel ayant, tout au long de la journée et de la nuit, ouvert ses vannes par intermittence, le programme initial de ce samedi d’ouverture de festival a donc été chamboulé, le concert de Marion Cousineau étant rapatrié sous le chapiteau, un peu à l’étroit mais toujours riche en émotions, suivi du duo Picon mon amour, Laurène, chanteuse-accordéoniste, et Jojo, multi-instrumentiste, compositions et reprises osées ou revendicatives à l’humour grinçant.
Celui d’Anne Sylvestre est remis au lendemain lundi, dans la Cour du Château, après les prestations d’Annick Cisaruk/David Venitucci (1h ) puis de JeHan/Lionel Suarez (1h également). La soirée devrait commencer un peu plut tôt que prévu, vers 21 h15 (ouverture des portes à 20h45) et finir plus tard.
Il fallait donc bien une entrée en matière à la hauteur de l’événement. Et, entre l’eau et le feu, entre celui qui sert de porte-voix aux artistes (qu’il porte haut dans son estime) et celui qui ne mâche pas les siens, on n’a pas été déçu. Car, chacun à leur façon, ils se sont mouillés et ont su, sans que l’on s’effarouche, nous mettre l’eau à la bouche : orages, odes et espoirs…
Signalons que les festivités ont commencé dès 16 heures avec l’inauguration de l’exposition de photos d’Anne-Marie Panigada consacrée à Allain Leprest, Salles du château.
Déclaration de Jean-Claude Barens (directeur artistique de « Barjac m’en chante »)
« Chères et chers amis, bonjour.
Quelle belle histoire a été écrite ici pour installer un festival devenu incontournable ! À l’échelle de 25 éditions, ma contribution apparaît comme une goutte d’eau. Je ne me sens donc pas très légitime pour vous parler du passé et je laisserai la parole à celles et ceux qui ont oeuvré…
J’ai plutôt envie de vous lire une déclaration d’amour, déclaration d’amour à celle qui nous unit finalement tous : je veux, bien sûr, parler de la chanson !
C’est si peu dire que je t’aime, toi la chanson, vieille dame fardée qui ne me quitte pas. D’ailleurs, que serais-je sans toi ? Au cœur de la Belle Époque à Montmartre le soir, tu regardes du coin de l’œil le Chat Noir qui s’est endormi près de la Butte. Bruant descend la rue Saint-Vincent, l’écharpe au vent. Félix Mayol, le muguet à la boutonnière se glisse dans une câline nuit de Chine et murmure les couplets de Madame Arthur. Mistinguett agite ses belles gambettes en faisant de l’œil au Chevalier de Ménilmontant, pendant que Damia et Fréhel distillent du frisson.
Entre Pigalle et les Abbesses, Dimey se noircit au Gerpil. C’est à la Bastoche que des joueurs de piano à bretelles tricotent des airs à vous couper le soufflet. Quand débarque le swing, la boîte à pousser ne s’étire plus beaucoup, et pourtant, jazz et java copains, ça doit pouvoir se faire. La valse à Dédé de Montmartre résiste, laissant à mille lieues les rupins roucoulants…
Sous le Pont Mirabeau coule la Seine. Les caves se rebiffent à Saint-Germain des Prés. Tu bourgeonnes et déboutonnes notre mémoire. Par petites pressions. En poussant la porte délicatement, pour éviter que le mot ne s’oxyde et ne prenne des rides. Tu nous arrives parfois par bouffées de gouleyantes goualantes, bouturant le plaisir d’une liesse populaire ou les vapeurs d’une mélancolie faubourienne. L’Olympia trône sur le Boulevard des Capucines. Toute la famille est là pour attendre son tour : Tonton Georges, le Père Prodigue, l’Abbé Brel, La Mamma, Les Frères Jacques et Les Sœurs Étienne, Les Enfants du Pirée, Julie la Rousse et ses petits roberts, Lily et Félicie aussi…
C’est ici que la môme Piaf a fait son nid. Après les feuilles mortes, dès que le printemps revient, sans crainte de rimes des foins, tu vas siffler là-haut sur la colline, pour y cueillir un bouquet d’églantines, un gentil p’tit coquelicot et ces colchiques dans les prés qui fleurissent, fleurissent. Quand le soleil a rendez-vous avec la lune, l’âme Sylvestre te gagne et Le Forestier t’envahit. Résident de la République, Boby se pointe et avance dans la jongle des mots, culbutant le langage, comme ne l’aurait jamais osé Joséphine.
Entre la montagne et la mer, tu rêves de rejoindre le Sud avec du Vian dans les voiles. Trenet en Aragon, admirer Le Greco et te laisser guider par Sapho, l’allumeuse de rêves berbères. L’aigle noir survole Nantes. Il est 5 heures, Paris s’éveille dans le bruit et l’odeur. En Montand sur les Grands Boulevards, il suffirait de presque rien pour que les amoureux des bancs publics voient la vie en rose. Comme ceux qui s’ promènent au bord de l’eau du côté de Nogent, jolie môme au bras, souliers du dimanche et petit vin blanc qu’on boit sous la tonnelle.
Le poinçonneur des Lilas a appris que les loups sont entrés dans Paris, à bicyclette. Dès le temps des cerises, tu te faisais mordante, grimpant sur la Butte Rouge, escaladant les barricades nourries du Chant des Canuts et criant « Ni Dieu, ni Maître ! » en entamant une java des bombes atomiques suivie par une valse à mille temps. Né quelque part, à Syracuse, Amsterdam, Bruxelles, Pékin, Manhattan Kaboul ou Rio, tu voles comme un avion sans ailes, là où le vent te portera. Vers Miss Juliette ou Mister Renaud. Vers Bernard le Stéphanois ou le Jacquot tombé du ciel. Vanina s’en va vivre en flèche, sac à dos pataugas. Entre nuit et brouillard, de merveilleux artisans te cisèlent sur des nappes en papier, t’offrant d’une voix ébréchée à faire pleurer les pierres. Sur la voie Ferré, par la voix Ferrat, Nougaro-ci Nougaro-là, Allain s’est muni de deux « l » pour rejoindre le Cercle des poètes disparus. Longtemps, longtemps, longtemps après, leurs chansons courent encore dans les rues. Et que ça continue, encore et encore… »
Discours d’Édouard Chaulet (maire de Barjac)
« Quand je pense que Jean Vasca écrivait « En attendant les orages » et qu’il fait ce temps ! Mais, il s’agissait de tout autre orage… « Tonnerre, ruisseau, moulin » écrivait René Char…
Bien le bonjour à tous les fidèles de Barjac en juillet et bienvenue aux nouveaux ! J’espèrent qu’ils trouveront ici amitiés, charmes et bon accueil.
Si tous ceux qui ont fait naître ce festival le voyaient en marche, ou plutôt en vol, ils n’en reviendraient pas, hélas… Une foule de talents et d’amis en nos mémoires. J’ai une émotion pour eux, en particulier mes Jean… Vasca, Ferrat, Taleman, Jehan de Wangen,…
Tout a commencé par ma carte de vœux 1992, quand j’ai demandé à Vasca l’autorisation de publier son texte « Village ». Ses cendres sont répandues à Barjac, avec comme codicille « Jeter le gant ? Jeter l’éponge ? Non… jeter l’encre ! »
Ce festival est œuvre commune, inaliénable, obstinément dédaigneux de « tout art de basse cuisine », agitatrice de popotins et de tiroirs-caisses. Il est produit avec des aides : la commune, la Région, le Département, quelques mécènes (dont A. Kiefer). Mais, sans les bénévoles, il faudrait tripler les mises. Que chacun soit ici remercié.
La ligne éditoriale est fidèle aux origines « En chanson dans le texte », « Chansons de Paroles »… La chanson, c’est de la poésie clouée à de la musique : elle dit notre vie et peut paver l’histoire de France, comme les moments heureux ou tristes de nos vies personnelles. Notre Jean Ferrat peut tout à la fois chanter l’amour comme les camps de concentration, le pays, sa montagne et la France…
Merci à tous les artistes et aux serviteurs de la chanson, qui gardez ardent ce chaudron du chant qu’est la cour du château !
Un renouveau très sain et enthousiaste est venu avec Jean-Claude (Barens). De nouvelles mains, de nouvelles oreilles, de nouveaux cœurs, de nouveaux lieux, un nouveau président – Antoine (Agapitos) – que je salue, un ancien que je remercie – Jean-Michel Bovy – nous en chantent. « Vive le vieux vin et les jeunes chansons ! », disait Pindare.
Le Festival est dobèrt (« ouvert » en occitan – ndlr)… »
Le site de Barjac m’enchante c’est ici. Leur page facebook, voilà. Le programme commenté sur NosEnchanteurs, c’est là.
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