Avignon Off 2019. Mercier brave haut : merci et bravo !
Depuis la nuit des temps, le mercier est un commerçant ambulant vendant toutes sortes de marchandises, ce nom venant du latin « merx » (marchandises, denrées). Mais, il s’agit également d’un vendeur d’articles de travaux de couture et de passementerie.
Et, au vu de ces deux acceptions, il semblerait bien que le Mercier qui se prénomme Patrice, qui vit au XXIe siècle et qui présente un spectacle intitulé « Mélodies chroniques » chaque soir du mois de juillet 2019 à Avignon perpétue fidèlement la tradition familiale.
Mais, je renchéris et n’ai pas peur d’écrire qu’il l’améliore. En effet, bateleur des temps modernes, rompu à tous les exercices du spectacle vivant, de l’impro au théâtre classique, en passant par le spectacle de rue, la performance et la télévision décalée, c’est en chanteur que Patrice Mercier vient coudre ses « goguettes » (chansons qui, sur un air connu, racontent l’actualité) comme personne. Et en découdre avec la bêtise ambiante. Car, à sa façon de les tricoter, ce tripoteur d’idées tire sur le fil des travers (et des droits) de l’homme. Mais, comme il le fait avec la méticulosité d’une petite main de grande maison, l’acribie d’une cousette d’art-manie et l’air de ne pas y toucher d’un kiné british manchot, cela donne des chansons qui, après avoir attiré par leur mélodie reconnue, sonnent à l’oreille et font mouche pour qu’on pouffe.
Taillant des croupières aux idées reçues, Patrice Mercier n’est pourtant ni un donneur de leçon, ni une balance : s’il n’attaque jamais ad hominem (à part le père Pell qu’en prend pour perpète dans une réjouissive parodie de « Belle » sur la pédophilie en milieu ecclésiastique : « Si on épluchait les archives de l’Église, enverrait-on, demain, Saint-François aux Assises ? »), c’est le système qu’il pourfend avec l’élégance de sa plume alerte. Que ce « veine-hard » pique un sprint avec une « Bicyclette » au « dope-niveau » ou qu’il euthanasie avec créativité dans « Je l’aide à mourir » ou « La mort de Félix Faure » (« Puisqu’on ne meurt qu’une fois, qu’on me laisse le choix parmi les mille manières d’éteindre la lumière »), c’est au petit point qu’il bâtit son ouvrage et reconstruit les chansons originelles en œuvres originales. Jamais cousus de fil blanc, mais toujours ourlés de malice, les mots sont choisis à dessein pour pouvoir passer à travers le chas de l’aiguille de son exigence. Car s’il épingle ses contemporains et déchire les faux semblants, ce barde happe appâts ne brade, ni ne bride, ni ne brode : et lorsqu’il taille des costards de haute (la)couture (à la façon de son Xavier de metteur en scène), c’est pour que, des porcs aux princes, de Star Wars à E.T., celles et ceux qui gagnent à être cul-nu puissent tout de même aller se faire rhabiller.
Et même si l’amer se rit du monde qui l’entoure, il le pare de ses allants vers à l’endroit où ça fait mâle. Et à ce titre, « Les trépassantes » (savant mélange de « show-effroi » sur la violence faîte aux femmes) est exemplaire : « Je veux dédier ma goguette à toutes les femmes qu’on jette d’un pont, en enfer, au tapis… à celles qu’on voit disparaître derrière un volet, une voilette ou sous les coups de son ami »… Avec « Quand on a que le mur » (véritable scud anti-Trump) il enfonce le clown et, s’il ne devient pas jugement, son constat drolatique, pour le moins, interpelle (« Quand on a que le mur face aux climatologues, on signe l’épilogue d’un trait de mercure »). Et de l’alimentation à l’écologie, il tire à boulets verts sur les modes, les mondes et l’immonde : « À bas les carbonaras » (sur l’air des « Lacs du connemara ») et « Je suis une bouteille à la mer » (sur la mélodie de « Tous les cris, les SOS ») racontent formidiablement bien aveuglement, avidité et vanité. Car là, bruni, le sourire se fige et laisse le spectateur interdit. Et c’est certainement parce que le plus grand talent de Patrice réside dans sa capacité à faire réfléchir sur la connerie humaine. Et, pour ce faire, il l’observe, l’analyse, l’écrit, la décrit et la décrie, en la chantant certes, mais tout en la pinçant. Et ce, sans prendre de pincettes ni de gants, si ce n’est de boxe, mais en sachant toujours rester élégant.
Parce que, dans ce spectacle, l’élégance est toujours de mise. Il est donc grand temps d’évoquer celle sans qui Mercier n’aurait, en fait, proposé que des chroniques. Or, il s’agite bel et bien de « Mélodies chroniques ». Aussi, dans la mesure où, dès l’apnée prochaine, on risque fort de manquer d’air, Missonne est là pour orner les mots et la voix de Patrice (car c’est un excellent chanteur) de notes revisitant musicamicalement les tubes proposés. Et quand on y réfléchit bien, ceci constituait une véritable gageure. En effet, la musique est ce qui, dans une goguette, sonne d’emblée à l’oreille. Aussi, fallait-il que la pianiste trouve des arrangements qui s’accordent non seulement aux mots de Patrice, mais qui renouvellent tout de même l’âme et l’audition des chansons choisies. C’est donc avec discrétion et délicatesse, mais non sans éloquence, que Missonne caresse ses touches d’ivoire pour apporter sa touche sans cible et nous permettre d’y voir plus clair…
Alors, bon… c’est vrai que si ma vision du spectacle est plus que positive (ce projet artistique me semblant même dépasser de la tête et des épaules le genre parodique dans lequel d’aucuns aimeraient l’enfermer, dans la mesure où il raconte le monde d’une façon à la fois populaire et réfléchie), j’ai tout de même quelques légères réserves sur certains points discutables. Si j’ai parlé d’élégance et de haute (La)couture, je trouve à redire sur la tenue de notaire de province de ce d’Artagnan des temps (pas si) modernes (que ça). Je suis persuadé que, au-delà des appâts rances (j’exagère, mais n’ai pas su éviter le jeu de mot), mise en scène (un tantinet trop sage) et tenues de scène (par trop « classiques ») gagneraient à être un peu plus « culottées » (voire déculottées). Car, même si je comprends la volonté de mettre en valeur le texte dans le cadre d’une forme sobre, j’ai dans l’idée que, à certains moments, sortir du cadre et offrir de la folie à ce spectacle lui aurait permis de prendre une autre dimension.
Mais, je chipote à dessein (car je suis taquin) et ne saurais que trop vous inciter à aller terminer vos soirées avignonnaises, en profitant pleinement de cet excellent spectacle, qui m’a cent coups fait rire et encore plus fait réfléchir. Alors, même si Patrice et Missone ne seront certainement pas reconnus à titre costume, les maudits mots dits et mélodies de leurs mélos dichroniques résonneront et raisonneront longtemps en moi. Car Mercier n’est pas qu’un marchand de mots, mais aussi un styliste stylé, ailé tailleur…
Mélodies chroniques – Théâtre Le Petit Chien (76 rue Guillaume Puy), jusqu’au 28 juillet à 22H30 – relâches les 17 et 24 juillet
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