Gauvain Sers, qui n’a rien oublié
Un type qui convie sur son album son illustre aînée qu’est Anne Sylvestre (« Et moi j’suis là, toujours heureuse / Y’a pas d’retraite pour les chanteuses »), qui invite en lever de rideau de ses concerts des comme Govrache et Frédéric Bobin, est forcément un type bien. Il l’a été, l’est, le restera. Maintenant que c’est dit, comment aborder avec le souci d’objectivité qui constamment nous anime ce nouvel album, son deuxième ?
Disons-le tout de suite : il est à la hauteur de nos espérances. Le poids du succès n’a semble-t-il pas lesté la plume de Gauvain Sers et c’est tant mieux. Peut-être même lui a-t-il plus fait prendre conscience de la portée de ses vers. On peut en être persuadé à l’écoute de la chanson-titre Les oubliés, qui offre de la visibilité à ces territoires ignorés des têtes d’œuf des ministères et de l’Elysée : « On est les oubliés / La campagne, les paumés / Les trop loin de Paris / Le cadet d’leurs soucis ». Sans doute la chanson qui, sans les nommer, nous parle le plus et le mieux des gilets jaunes et du malaise qu’ils nous font remonter chaque samedi en défilant pour nous.
De belles plages de tendresse ou de mélancolie, d’autres de colères et d’indignation, le dosage de cet album n’est pas nouveau mais, bien fait, il fait toujours son effet. A ce titre, Gauvain Sers s’inscrit dans le chemin labouré avant lui par Renaud, Maxime Le Forestier, Anne Sylvestre, François Béranger, Eric Frasiak et quelques autres du même tonneau (on notera ainsi la proximité avec l’art de Renan Luce, notamment sur Ton jean bleu) : dans une parenté illustre, la solide tradition d’une chanson bien charpentée, soucieuse de l’autre, empathique, loin de tout égo. La chanson, quoi, pas cette indigeste pâtée que nous donnent à bouffer radios et télés !
Même quand Gauvain Sers chante son autobiographie de jeune chanteur, c’est « bien sûr dans la langue de Prévert », dit avec insistance, avec pertinence.
En fait Gauvain fait tout le contraire de ce qu’il faudrait pour atteindre le succès : du français donc, du sens. Et de l’engagement, comme avec ce titre sur les immigrés et ce naufrage de toute solidarité de notre part : « Au pays des lumières / Y’a plus d’interrupteur / Notre phare dans la mer / N’était qu’un leurre ».
Il y a aussi beaucoup de tristesse, presque banale, dans les mots de Sers, dans la narration de vies qui n’ont rien ou pas grand’chose d’un conte de fées : l’étudiante qui tapine pour nourrir son micro-onde, l’amour qui n’est pas promenade de santé, la première piaule grande comme un mouchoir de poche, cette liberté toute relative des femmes, ces vautours aux instincts d’animaux qui rôdent dans la rue… chaque fois les rimes s’accordent au plus juste pour décrire ou dénoncer, raviver des souvenirs, essaimer des idées.
On a beau se dire que Sers n’a rien inventé, n’empêche qu’il le fait bien et ajoute de nouvelles pièces aux grandes heures de la chanson. Et que ce disque tout frais pourrait devenir un des solides classiques de la chanson.
Gauvain Sers, Les oubliés, Fontana/Universal 2019. Le site de Gauvain Sers, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Ce n’est pas seulement parce que je vis en Creuse et que j’étais instit’ (école maintenant… fermée !) que je souscris à ta chronique.
Gauvain a d’indéniables qualités, dont la fidélité. Il parrainera le concours « chansons de paroles » débutant le festival de Mouhet dans l’Indre (6 au 10 juin)
J’ai eu la chance de voir sur la même scène Gauvain et Pierre Paul Danzin, deux creusois excellents !