Régis Mannarini, d’amitié, d’art et de poésie enivrez-vous
Etonnante impression à la première écoute de cet album, d’un jeune trentenaire pour moi encore inconnu. Avec seize titres, il semble avoir beaucoup à dire, et il le dit bien. Cet album ne ressemble à aucun autre et en même temps ces chansons résonnent comme si vous les aviez depuis longtemps déjà gardées en tête. Sensation d’être en pays connu, au cœur d’une conversation entre amis, où se retrouveraient Allain Leprest, Jean Guidoni, Brassens et Pierre Nicolas, Serge Lama, bien d’autres encore… Comme si Régis Mannarini avait toute une vie derrière lui. Une urgence et une réflexion tout à la fois.
L’addition titre l’album, c’est la première chanson, une addition qui aurait pu lui coûter la vie. Il en fait inventaire, de tout ce trop risqué, substances illicites, amours non couvertes, jeux interdits, errances politiques et religieuses. Avec une écriture percutante, des mots qui cognent et qui accrochent : « On se clope on se trinque / On se sniffe se requinque / On s’Tranxene se comptoir ». De son expérience de vie élargie à ce trop plein de vide de notre monde. Une vie qu’il vivait trop vite, trop fort.
Le bon côté, la musique, la guitare corse dont il est virtuose, héritier qu’il est de son grand oncle, de toute une tradition familiale. Interprète, compositeur. La poésie, la chanson, le jazz, la musique classique. L’amitié et les voyages. A 25 ans il avait déjà trouvé les mots pour le dire, avec Pierrot et J’ai pas la clef, qui a donné son nom à son premier album déjà étonnamment abouti.
Le mauvais côté, l’alcool, les drogues, la cigarette, la boisson : « Morphine, codéine, benzodiazépine, héroïne, kétamine ou mescaline, (…) tout ce qui finit en -ine te pine » cette chanson chantée avec détachement et que je n’avais pas comprise…
Et puis en 2017, à 29 ans un AVC… la peau qu’il manque y laisser, il va maintenant en prendre soin, et foncer pour écrire cet album. Avec son frère de musique, le pianiste Quentin Pradel avec qui il forme duo d’amitié fusionnelle, il compose des musiques, du jazz qui swingue à la plus douce mélodie, en piano voix, enrichi de tout un orchestre. Le trombone de Frédérique Luzignan, le cor, le violon d’Ivana Aicardi, l’accordéon de Frédéric Viale et les violoncelles profonds (Emmanuelle Oger…) qui dessinent sur sa peau des tatouages d’amour : « J’aimerais tant être ta toile / Sur ce chevalet en vieux bois / Sentir le pinceau de tes doigts / Dessiner sur ma peau de lin / Tes fulgurances au fusain ».
Contrebasse, guitares manouche et jazz, batterie complètent l’orchestre, sans aucun recours à la musique de synthèse…
Régis Mannarini, dans la tradition des poètes de Villon à Apollinaire, mêle lyrisme et trivialité, du romantisme débridé aux bas-fonds de l’esprit humain. Il le fait avec des mots d’aujourd’hui, proches du slam, mêlés aux paroles éternelles, et rend tribut à l’amitié et aux amours, dédiant nommément ses chansons à ceux qui l’entourent et veillent sur lui.
C’est à Quentin que s’adresse la tourbillonnante Le piano de mon pote, célébré par tout l’orchestre violon en tête : « Il arrache aux ouvrages / Le génie et la rage / Des écrivains de notes », et encore le monologue en bonus, Piano.
Aux « amis-reux » Leur amitié, à moins que ne viennent Les copines avant les copains : « Le jour où vous vous f’rez larguer / Rev’nez chez moi alors sonner / Ensemble nous serons très bien ».
Monsieur « pend des nuits à son cou / Sur le tabouret des étoiles / Car la lune paie à tous les coups / Le droit d’emmerder la morale », est dédiée à son mentor – un peu le pendant du C’est mon ami et c’est mon maître de Lama - dans une orchestration très rythmée, aussi trépidante que la vie du Monsieur en question.
Blandine Juthier le rejoint sur D’amour et de pierre : « Il n’est plus question / d’être et de paraître / dans tous les bastions / Où tu te crois maître / Je prends la permission / D’enfin de renaître ».
Rideau est tiré sans haine sur un amour fini, et c’est une des plus douces et émouvantes chansons de l’album.
Bien ancré dans son époque, du passé il ne fait jamais table rase, s’en imprégnant au contraire pour mieux le digérer, le recracher. Poètes, peintres et musiciens ont nourri sa toile, sa plume et son pinceau.
La grande dame prend soudain une actualité… brûlante, puisqu’elle rend compte de tout l’attachement qu’on peut porter à Paris, ses monuments, déroulant son histoire, son art, Rimbaud, Verlaine et « Monsieur Hugo [qui] a façonné la lumière de votre âme ».
Sombre et bel hommage au grand Vincent, marche funèbre qui parfois romantise, s’accélère et détonne « Tu naquis mort tu es ressuscité / car tu le sais tout est marchandise / à vendre » … Quand on touche le fond de la mélancolie, dont il emprunte audacieusement le titre à Ferré « C’est Ferré dans la nuit qui me prend par sa plume » tout coule autour de lui… dans tous les sens du terme, et il y invoque musiciens, poètes et philosophes pour jurer enfin « Ne pas vouloir guérir de cette maladie / La mélancolie » .
Inspiration plus prosaïque de sujets un peu macho, Mes dames, « Au soleil de l’envie / A l’ombre de vos maris » et son rythme latino ; Bordel, qui tangue noire comme une chanson de Guidoni, et questionne « Ne sois pas fier petit client / De te comporter de la sorte / Y’en a qui t’feraient ça gratuitement / en t’aimant » ; ou Casino, qui dénonce l’enfer du jeu, dans une ambiance bastringue très Cirque des mirages.
Pourtant ce sont peut-être les notes de cette valse, cette Anna corse qui tourne et mélodise avec de jolis mots : « La fleur qui garde ma forêt / Mon jardin et tous ses secrets » qui tourbillonneront longtemps encore dans nos oreilles…
Régis Mannarini, L’addition, autoproduit, 2018. « Cet album est dédié à l’âme libre et libérée de Jacques Higelin » R.M.
Le site de Régis Mannarini, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
Régis Mannarini vient d’être « Un moment inoubliable de [l']édition 2019 » du Festival Georges-Brassens de Vaison-la-Romaine (dans son propre répertoire). Il donne ce soir son concert officiel de sortie d’album dans sa ville, Saint-Raphaël. La Salle Félix-Martin, 300 places, est complète, mais vous avez une chance de l’applaudir le 31 mai à la Cave aux artistes au 17 Rue Paul Bert, à Aix-en-Provence.
La grande dame
Les copines avant les copains
Prrivée de mon ordinateur pour un petit bout de temps, je viens néanmoins de « tomber » sur cet article jamais lu (et j’en reste étonnée) et je suis très heureuse de l’avoir découvert. Il reflète tout ce que Regis . nous fait ressentir et exprime tout ce qu’il mérite et nous offre les mots que nous n’aurions jamais pû aussi bien dire. C’est émouvant et si vrai. Il peut faire penser à certains artistes, et non des moindres, mais il est Lui avant tout. Avoir le bonheur d’assister à ses concerts et de les vivre avec lui et ses musiciens comblent ceux qui ont la chance d’être présents.