Georges Chelon, d’amours et de regrets
25 avril 2019, La Mutualité, Lyon,
« Il était convenu / Qu’on se retrouve un jour / Et les jours ont passés / Et j’attendais toujours… » Tant que Georges Chelon chantera, on ira le voir, le revoir, comme on va à une source, pour le bien-être, pour y entendre vivre des chansons d’il y a parfois longtemps. Et prendre des nouvelles. Qu’importe s’il faut parfois venir de loin, comme ce soir encore, affrontant les colères du ciel pour être fidèle au rendez-vous.
De loin, sous les projecteurs, on se dit qu’il n’a pas pris une ride ; sa voix est quasi la même, comme l’éternel jeune chanteur qu’il est. Seul le blanc des cheveux trahit l’âge. La voix est douce. Lui est à la guitare ; son complice Pilou trône au milieu de cuivres à profusion et de parcimonieuses programmations qui parfois convoquent un bien plus grand orchestre.
« Où tu m’entraînes, dis / Où tu m’entraînes / Je sens je tombe, dis / Je sens je tombe / Mais que c’est bon, dis… » Il y a dans les paroles de Chelon des tombereaux d’amours et de regrets, de cœurs perdus que le hasard retrouve longtemps après, à la faveur d’une adresse. Et des tonnes d’empathie. Depuis des décennies, ce troubadour scrute et consigne l’état du monde ; son écriture tombe toujours juste. Comme quand il chante le tourisme au cœur des favelas brésiliennes, autre façon d’envisager Rio : « La terre sous leurs pieds est pleine de richesses / Ils n’en verront jamais la couleur et du reste / Ils vivent dans des taudis à côté des buildings / C’est là tout leur standing / Plus un carré de ciel ». Comme quand il nous fait inquiétant mais réaliste requiem sur un avenir proche : « Vous allez voir mourir le dernier ours blanc / Et le dernier dauphin, la dernière baleine / Disparaître à jamais le dernier éléphant / Et rien que de le dire ça me fait de la peine… » Oui, si la chanson élégante et romantique de Georges Chelon aime à décliner les jeux de l’amour, elle n’en est pas moins constamment inquiète de ce monde qui va cul par dessus tête. Sans crier gare, sans lever le poing, les mots de l’artiste sont toujours d’une redoutable précision, qui aident à remettre les idées en place. Chelon est dans le temps présent.
Tellement qu’a la manière d’un chansonnier, Chelon écrit-il plus vite que la musique, que le vent et le feu ? Les braises de Notre-Dame de Paris sont à peine éteintes que, sur scène, il nous chante déjà les ruines de la cathédrale : « On va reconstruire Notre-Dame / Païens, croyants / Elle s’est enflammée dans la nuit / Et cette torche de lumière / A éclairé la Terre entière ». Il ne faut pas cinq ans ni cinq jours à Chelon pour reconstruire cet espoir de pierre là. Mais « Du temps en aurons-nous pour refaire / Tout ce que l’homme a pu défaire / Tout tout va si vite maintenant / Nous reste-t-il assez de temps / Pour mettre un terme à la colère / A l’injustice, à la misère / Je sais je suis artiste cependant / Comment peut-on faire autrement ? » Notons qu’à ce précis moment, à la télévision, le président tente justement de ne pas répondre à cette question…
Une faute de goût, une seule mais de taille, dans ce récital. Fatigué de le chanter à chaque concert depuis plus d’un demi-siècle, Chelon s’est amusé sur Père prodigue, en lui collant un rythme de samba. Du coup les vers perdent tout leur sens, leur colère, leur indignation. N’en reste plus rien et « on n’a pas tué le veau gras », à peine applaudi ou alors par politesse. S’il y a une chanson que le public venait entendre ce soir, c’était celle-là. Ou plutôt deux, Chelon se rattrapant sur Sampa : « Je m’appelle Sampa / Et bien que chien bâtard / Je fais tourner la tête / A bien des pedigrees… » A qui d’ailleurs appartient une chanson-culte telle que Père prodigue ? Au public je crois, qui l’a fait sienne depuis longtemps et n’aime pas qu’on la travestisse ainsi.
Quatre-vingt dix minutes passées avec Georges Chelon, c’est forcément bien trop court, tant le répertoire est grand, tant l’artiste est rare, lui aussi passé à la trappe des médias. Mais dont le public est toujours là. Et c’est autre grand plaisir, autre enseignement, d’un tel et délicieux récital.
Le site de Georges Chelon, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Pour se procurer les disques et le livre de Georges Chelon, le site d’EPM musique.
J’ignore si Georges Chelon « s’est amusé » ou était « fatigué de le chanter à chaque concert » Père prodigue pour en changer le rythme. A la première (et seule) écoute, surprise et déception ! Je suis entièrement d’accord lorsque vous écrivez que « les vers perdent tout leur sens, leur colère, leur indignation. N’en reste plus rien (…). « S’il y a une chanson que le public venait entendre ce soir, c’était celle-là.
A qui d’ailleurs appartient une chanson-culte telle que Père prodigue ? Au public je crois, qui l’a fait sienne depuis longtemps et n’aime pas qu’on la travestisse ainsi. »
Merci à vous pour cet article.