Nicolas Gémus : vertiges à plume
Nicolas Gémus. Un nom et un physique qui (étrangement ou non) convoque davantage en imagination des images de magiciens?; savants, astronomes ou astrologues, que celle de chanteurs. Nostradamus. Copernicus. Comenius (ah non, pas lui).
Je ne crains plus les nuits blanches/Je me suis fait l’ami des hiboux.
S’il ne se balade pas avec une baguette magique ni avec un hibou, Nicolas Gémus, jeune auteur-compositeur-interprète nourri aux vents des Iles de la Madeleine (Québec), donne fort le vertige d’avoir atterri dans un univers parallèle où parler en chansons serait la norme. Un sursaut d’espace-temps qui se passe sur le fil d’une conversation, au bout de ses doigts qui en pincent visiblement pour les cordes de sa guitare. Ça commence avec la tempête aux Iles de la madeleine : «?des vents à 130 km/h, un HLM entier a brûlé… et ça enchaîne : qu’est-ce qu’il est blême mon HLM?». Tout sujet revient à une chanson, de mots qu’il semble connaître par cœur?; et au bout de l’entrevue-discussion, je suis moins sûre d’avoir obtenu des informations concrètes que d’avoir passé en revue l’histoire de la chanson d’ici et d’ailleurs, évaporée en mélodies.
Et quand on s’attardera moins souvent, au bourdonnement du téléphone/Qu’au sifflement du vent/Alors, peut-être qu’à ce moment-là, on découvrira le vrai.
Voix découverte un dimanche de soleil et de froid au Grand Théâtre (Québec encore) devant un public au cheveu semi grisonnant et cœurs battant la cadence — pieds en suspension, j’ai été conquise par l’intimité des textes et la douceur de ce «?sincère donneur de câlins?», tel que le décrit Katia Desgranges dans son top 5 des découvertes 2018. Entre des reprises de l’incontournable montréalais Léonard Cohen avec «?Suzanne?», du «?plat pays?» de Jacques Brel et du «?Ô Marie?» québécois (encore et toujours) de Daniel Lanois : distillation de ses paroles à lui, rythmées de la contrebasse de Ian Simpson — grand joueur à l’Orchestre Symphonique de Québec et petit farceur — et de la batterie de Stéphane Rancourt, aussi réalisateur de l’album à venir. Des élans et petits frissons au retour d’une vague de voix. La tranquillité de la poésie, les accents chauds de la guitare. Vous l’aurez compris, il n’y a pas d’acide ni d’acerbe dans la plume de Nicolas Gémus.
J’ai du mal à suivre la cadence/J’suis toujours en retard d’une mesure
«?Personne ne jouait de la musique dans ma famille, j’ai détesté les cours de guitare quand j’avais 8 ans et j’ai pris la musique au secondaire [au lycée] parce que j’étais pourri en arts plastiques?», nous avoue-t-il, les doigts toujours sur sa guitare. Du choix par défaut, aux huit prix raflés en 2017 grâce à son titre «?Bunker de tes bras?» (prix des jeunes auteurs-compositeurs canadiens de la SOCAN et 7 prix différents au Festival réputé de Grandby), il y a comme un espace mystère…
Si t’as le vent de face/vire donc de bord/J’ai jamais vu une girouette/toujours pointer le nord.
«?J’en avais les doigts bleus?», décrit-il cette venue mystérieuse à la guitare et à la chanson, grandie de lectures et d’acharnement sur le fameux instrument — dont il gratte toujours les cordes à mesure que la conversation se défile. Monomaniaque dans l’âme, Nicolas Gémus préfère cela dit prendre son temps : «?je n’ai pas eu d’envie d’écrire mes chansons sur le coup, et j’ai du plaisir aussi à jouer les chansons des autres?; c’est par périodes, Léonard Cohen pendant deux semaines puis Renaud, puis un autre… C’est très long pour moi d’écrire?».
J’pourrais sauter, chuis pas solide/J’aurais besoin du bunker de tes bras/Même que nous deux ça s’désagrège/[…] maintenant j’te perds dans les blizzards
C’est cette «?tune?» [prononcer «?toune?»] qui a remporté le cœur du jury du festival de la chanson à Grandby, couronnée du prix coup de cœur SOCAN en demi-finales : remporter les cœurs, et leur donner une cadence autre, voilà qui pourrait finalement résumer l’écriture musicale de Nicolas Gémus (si l’on peut de quelque sorte, résumer une écriture musicale). Il collectionne depuis les apparitions sur scène, en première partie notamment de Tire-le-coyote, autre grand nom de la scène francophone québécoise, histoire de roder le tout pour un premier album mûri à la chaleur d’un studio québécois en hiver (c’est-à-dire bien chaud, vu les vents aiguisés qui vous soufflent au derrière).
Je traverse l’orage/Tenir le voltage/pour les décharges à venir…
Et puisqu’il fait plus chaud à plusieurs – cette fois c’est la physique qui nous guide et non la magie, d’autres artistes de la scène musicale québécoise se retrouveront sur cet album, coaché et mixé par Stéphane Rancourt, qu’il se plaît à décrire comme «?un album à écouter entre amis autour d’un bon souper et d’un bon vin?», bref pour «?boire des chansons et chanter (autour) de la boisson?» pour vilainement renverser les verres de Daniel Lanois. Sortie prévue dans l’espace réel fin avril 2019, et sur lequel on pourra notamment y entendre les voix d’Émilie Clepper et de Lou-Adriane Cassidy?; la guitare électrique de Louis Fernandez?; le talent textuel de Tire le Coyote et Jonathan Harnois, parmi toute autre tribu de collaborateurs…
Et en attendant, vous pouvez aller voir sa trombine de magicien ou écouter sa voix garantie sans béton aux espaces-temps suivants : sur facebook, c’est par ici ; sur YouTube au Prix Grandby, c’est par là :
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