La Green Box, quoi de neuf ? Victor Hugo !
16 mars 2019, le Petit-Duc, Aix-en-Provence,
On connaît Florent Vintrigner comme chanteur de La Rue Ketanou, musicien multi-instrumentiste accordéoniste, sa voix tendrement écorchée, émouvante. On sait moins qu’il a commencé avec le Théâtre du fil, saltimbanque à l’image de ceux décrits par Hugo dans l’Homme qui rit, qui se déplaçaient dans un Théâtre ambulant-roulotte qu’il avait justement appelé La Green Box.
Et justement le Théâtre du fil avait monté L’homme qui rit. Victor Hugo les accompagne depuis longtemps.
Un album entier de folk-rock s’appuyant sur les mots d’Hugo, plus parlé que chanté, Pol de Groeve nous a déjà parlé de la jubilation qu’il a eu à l’écouter. Le spectacle vivant en duo n’a rien à envier aux arrangements inventifs et épiques du disque. Créés par les deux comparses depuis la rue Kétanou et Tryo, Arnaud Viala et Benoît Laur – ce dernier seul physiquement présent ce soir. La présence de la batterie acoustique jointe aux boucles musicales crée la synergie nécessaire à la scène, les gestes du batteur sont un ballet à eux seuls.
Florent nous accueille à l’accordéon. Un de ces petits accordéons boisés de chanteurs des rues, ceux qui vous prennent aux tripes et au cœur. Nous sommes au centre de l’action, Florent, stylé sous le chapeau et le gilet, joue en haut des gradins tandis que les spectateurs arrivent, descend parmi nous, appelle Benoît qui s’installe derrière sa batterie, ses pads et son clavier. Ils nous cueillent en douceur avec ce léger poème de nos Voix intérieures, « Jeune fille, l’amour, c’est d’abord un miroir / Où la femme coquette et belle aime à se voir ».
Nos deux musiciens aux chemises à petites fleurs jouent entre bohème et conquête de l’ouest, chanson des rues et folk-rock à la Bob Dylan. Avec ses guitares, dont une, très vintage, accordée en open tuning, et un micro central qui donne l’effet d’une dombro, avec le banjo et l’harmonica créant sonorités tour à tour orientales ou western – il nous jouera en mitan une pièce en anglais très old time « avec l’accent qu’avait Hugo avant son séjour à Guernesey » – Florent évoque paysages et sentiments intimes comme grands espaces épiques.
Dans d’autres spectacles, des guitares électriques se joignent aux acoustiques. Mais jamais nous n’en éprouverons le manque, dans ce concert qui remplit toute la scène, toute la salle. Hugo sonne, et La Green box résonne. Hugo raconte, et nous pensons qu’il nous parle au présent. Et jamais les mots soutenus, recherchés, ne nous semblent démodés, par la grâce de leur rythme et de leur sens.
Les poèmes choisis, aux textes intégraux pour la plupart, couvrent toute l’écriture d’Hugo, l’homme, le père, le grand père affectueux, le curieux de la vie, mais aussi le citoyen, l’homme engagé, l’assoiffé de justice. Depuis les Orientales de 1829, parées d’images de paysages colorées, épicées et de fantasmes sensuels, avec Les adieux de l’hôtesse arabe, ou Novembre, jusqu’aux poèmes épiques. La nostalgie de l’Orient et de ses belles images, par une journée brumeuse dans un Paris transi, fait rouler les mots somptueux d’Hugo sur les rythmes battants, sonnant sans peine, tels un moderne slam : « Plus de minaret maure / Plus de sérail fleuri / Plus d’ardente Gomorrhe ».
Viennent les poèmes intimes de la paternité, les souvenirs, émotion pure : « Elle avait dix ans, et moi trente / J’étais pour elle l’univers » et les regrets : « Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe / Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur ». La musique y est urgente cavalcade, comme dans un grand western, cordes sonnantes, tension montante, avec de grandes respirations instrumentales, et la voix douce se voile, dans la quête de ces retrouvailles post mortem.
Rythme qu’on retrouvera dans l’engagé Amis un dernier mot, taillé dans un grand poème épique de 1831 des Feuilles d’automne : « Je hais l’oppression d’une haine profonde (…) Et j’ajoute à ma lyre une corde d’airain ! »
Une nuit à Bruxelles évoque un épisode assez peu connu où Hugo, ayant chez lui hébergé des communards réfugiés – bien qu’il n’en soit pas lui-même – essuie l’attaque d’une bande de cinquante jeunes que l’on qualifierait de nos jours de fachos. Les mots sont slammés, scandés lentement sur la guitare slide, le rythme entêtant crée un suspense cinématographique : « Hier on est venu chez moi pour me tuer / Mon tort dans ce pays est de croire aux asiles ».
Mais Hugo traite aussi ses engagements par la fable, Fable or story, où le singe se vêt de la peau du tigre pour impressionner ses adversaires : « Le tigre avait été méchant ; lui, fut atroce / Il avait endossé le droit d’être féroce. » Là Florent retrouvera son passé de comédien pour nous esquisser un ballet soulignant le grotesque du singe, dans une sorte de charleston burlesque, tandis que Benoît, juché debout sur son tabouret, joue les équilibristes pour battre ses toms.
Si tous les titres de l’album ne sont pas joués, notre duo nous fait la grâce de cette charmante pièce de L’art d’être grand père, Jeanne était au pain sec, petit bijou de révolte contre les convenances : « manquant au devoir / J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture / Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture ». Et en sortie, en exclusivité, comme en entrée, sur le tourbillonnant accordéon, les trois premières strophes du Dédain : « Combien de passions, de fureurs, de tempêtes / Grondent autour de toi, jeune homme au front serein ! »
Le site de La greenbox, c’est ici. Ce que Nosenchanteurs a déjà dit de La greenbox, c’est là. Et de Florent Vintrigner, là.
La Green Box est le 29 mars à Valence d’Agen, le 30 mars à Saint-Sever à Chantons Sous Les Pins, le 5 avril 2019 au Forum Léo Ferré à Ivry.
Commentaires récents