Hervé Lapalud, Dramane Dembele, et le temps s’est arrêté
2 mars 2019, MJC de Venelles, Korafoland, co-plateau avec Amélie les Crayons,
Hervé Lapalud avec son petit chapeau sans bord, ses yeux plissés en un éternel sourire et sa barbiche taillée en pointe, évoque tout d’abord plus l’Asie que l’Afrique. C’est qu’il est d’abord voyageur en humanité, qui emporte avec lui « deux sacs, un pour donner, un pour recevoir » et fait « provision d’histoires, de musique, de mots, de visages, de paysages… ».
« J’aime dormir chez des gens que je ne connais pas, j’aime entendre des langues que je ne connais pas », nous avoue-t-il. « Qui es-tu, où vas-tu, je ne sais rien de toi (…) J’aime cet instant là où on s’apprivoise». La voix est douce, instaure d’emblée la confiance, suscite immédiatement la participation du public.
Il y a une vingtaine d’années, un séjour de coopération humanitaire l’a conduit à Ougadougou. Il nous la chante d’emblée, nous la fait reprendre, avec ses noms de lieux si doux, Ouahigouya, nous conduit chez Achille ou Yakou, chez les mossis, les sawa dogos, et quelque part sous la lune…
Il s’accompagne à la kora, découverte chez Gwendas Simon, facteur d’instrument tant breton que burkinabé. Et le coup de foudre pour cet instrument s’est mué en un fin’amor perpétuel.
Il faut dire que cette harpe-luth faite d’un long manche haubané d’une bonne vingtaine de cordes (il faut les accorder souvent !) sur une calebasse ronde comme un ventre est un instrument magique, qui en a séduit plus d’un. Nous sommes témoins de sa capacité à dilater le temps. Non que l’heure de concert nous soit parue longue : tout au contraire elle nous a transportés ailleurs, dans un monde de présent et d’éternité. En des pays où les richesses sont lenteur et humanité, musique d’ instruments que l’on fabrique patiemment avec les fruits ou les plantes du crû.
De là-bas vient la sanza aussi, ce petit piano à pouces, plaquette de bois dont on joue comme les ados sur leur mobile, du bout des doigts sur les lames métalliques…Il en a même greffée une sur le bidon bleu sur lequel il est assis !
Ses itinérances ont conduit le souffleur de vers à Madagascar, où il a célébré les femmes, les enfants, la vie et la mort et l’importance des choses essentielles, comme l’eau vendue par cet Ali les bons tuyaux, « Je vends de l’eau(…) l’eau qui coule de ma barrique, mon eau coulante, mon eau roulante », un album pour les grands, et un pour les petits, En enfancie. Les enfants, il les connaît, avec sa petite dernière qui a quelques mois…née comme lui nu cœur nu pied nu cul…Et tous les ateliers animés dans les écoles, parions qu’il sait émerveiller les petits au moins autant que les grands.
C’est un habitué des collaborations musicales et humaines (1), et l’an dernier ce fut cette rencontre imprévue du jeune musicien burkinabé Dramane Dembelé, issu d’une famille de griots, qui parle quatorze langues, joue de la kora et de son petit frère le n’goni, caresse aussi une calebasse insérée dans un cadre, comme le soleil dans la mer, en douce percussion, module sous l’aisselle le tama, tambour « parlant » évoquant les langues locales, qui a ponctué une des anciennes chansons d’Hervé, Je travaille dans ma tête. Comme un petit clin d’œil à Nougaro, « Tous les jours j’me fais mon cinoche / J’me fais des films sans pelloche / Sur l’écran plat de ma caboche »
Dramane chante aussi de sa voix douce et grave, mais son instrument de prédilection est sans doute la flûte traversière peule qui produit des sons à la fois clairs et étouffés, parlant aussi à nos oreilles. Il en possède toute une collection, du plus aigu au plus grave, et il y faut du souffle, même si les sons semblent en couler miraculeusement.
La vie d’Hervé est faite de ces occurrences, et entre eux deux est né Korafoland, dont le premier concert fut donné en avril 2018 le lendemain de la mort d’Higelin. Un jeune concert plein de promesses, où la modernité côtoie l’éternité : les koras sont amplifiées, se demandant sans doute ce qui leur arrive, et résistant parfois à la technologie moderne, sans que cela ne perturbe le moins du monde notre duo, qui fait preuve d’une totale complicité.
Sous le baobab comme sous les lumières de Venelles, Hervé a su nous conter les choses de la vie, nous chanter l’amour, l’amitié et nos interrogations sur l’avenir. C’est cette lettre tendre et inquiète écrite à son [futur] arrière petit gamin, « Est-ce que toujours tout recommence / A chaque naissance à chaque enfance / Le goût de l’eau le goût du pain / et la cabane dans le sapin ? ».
Et puis cette sublime et sensuelle déclaration d’amour avec les yeux du peintre : « Je veux dire tes seins (…) tes gouffres(…) tes râles » qui prend encore une troisième dimension avec la simplicité de ce regard : « ton épaule au soleil avant ton réveil ».
Après le concert d’Amélie les Crayons (article à venir), le duo la rejoindra sur sa chanson Tout dans tout, a cappella, avant d’improviser une Tendresse (Noël Roux / Hubert Giraud) si bien interprétée par Bourvil. Michel Trihoreau nous avait bien dit qu’Hervé Lapalud avait la tendresse de Bourvil, la preuve est faite.
(1) Hervé Lapalud est l’un des éléments marquants des Didoudingues, comme le nom l’indique, collectif lyonnais…
Le site très complet d’Hervé Lapalud, c’est ici (on peut lire les paroles de ses chansons dans l’espace pro). Ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’Hervé Lapalud, c’est là. L’album complet de Korafoland doit être enregistré cet automne.
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