Jérémie Bossone, loin devant

Photo/graphisme Laeticia Defendini

Il  nous avait promis qu’on ne retrouverait pas Playmobil dans son prochain album ; pourtant, elle est là cette chanson de tendre rage nostalgique contenue, celle de n’avoir plus, adulte, la maîtrise du monde « Mais va donc faire comprendre à ta mère / Que t’as traversé toute  la mer à la nage ».

Clé de l’opus « Dernier but au ras du poteau, après j’me change, après j’me range », la  promesse ne sera pas  tenue, jamais il n’écoutera les conseils de sa manageuse affolée « Elles sont pas bien les chansons (…) Du rap, de l’opéra, et du bruit ! » Bleu comme la mer, rouge comme le sang, blanc comme les crocs des loups, double et unique, jamais il ne sera gris, ni normé-pailleté pour le chaudbiz, la soupe à PraïmeTaïme. Ça demande des sacrifices, des mises au point, des justifications permanentes. 
  
Depuis quinze ans Jérémie Bossone trace son sillon hors des ornières toutes tracées, préférant le sillage des bateaux de pirates et privilégiant à celle de la Gloire la recherche du Trésor. Traduisez chose infiniment précieuse enfouie sous les apparences : la perle rare, le Graal, le Précieux, One piece, la Sparkle Rose, la Toison d’or, la Cherokee Rose, Light Earth « La patrie des rois dorés », l’inaccessible étoile…

Lui qui bouillonne d’idées n’a qu’une hantise, n’avoir rien à dire. Pourtant sa page blanche se remplit, déborde tant que certains n’arrivent pas à le suivre. On le croit romantique, il devient trivial. Indifférent au monde politique, il enchaîne pourtant un pamphlet rock rappé, Pirate –« Que nul ne s’en étonne / Quand les pourris s’éclatent / Il faut se fair’ pirate / Pour rester honnête homme » - suivi d’un rap rauque au flow impatient, Loin devant (1) « Moi j’ai la rag’ du primitif / Toi t’as la pag’ du plumitif » où il développe la verve d’un Cyrano de Bergerac, sur une musique tout aussi lyrique, en dix minutes déchirées qui vous arrachent le cœur et les tripes.

Tout l’album mérite d’être scénarisé comme un opéra de la vie moderne, où il ne manque rien, aventures, passions exaltées, jalousie, amours tragiques. Spirale débute comme La Bohème (celle de Jacques Plante /Aznavour) ou La vie d’artiste et finit en apocalypse now. Le manège de la vie tourne, tourne, et l’histoire de l’artiste en mal de reconnaissance de Crimson Glory se répète, sauvé par l’amour, jusqu’au drame…Le disque est rayé…« Va savoir c’qui s’passe dans la tête d’un chanteur… » .

Les récitatifs  devenus des « skits » (2), intermèdes parlés, chantés où officient Jean Fauque, Dimoné, Nicolas Jules, Eric Legrand ou Benoît Dorémus … font pause et réflexion entre le pop-rock énervé « J’avoue : parfois j’explose ! / A qui s’en vont les roses ? » et le rap déjanté de son alter égo Kapuche le pirate « Je suis un Don Quichotte / Un gars qui suit ses rêv’, donc « qui choque » ». 

Il vous faut écouter et lire (le texte figure in extenso dans le livret de l’album) ce voyage initiatique qui déroule l’odyssée fleuve de l’enfant qui « grâce aux Playmobil / Devient dans l’âge adulte un Leonidas aux Thermopyles ».  Il y appelle à la rescousse tous les héros de la Littérature comme de l’Aventure, d’Ulysse à Corto Maltese.  Avec ce  flow incandescent,  comme  si Orelsan utilisait la plume de Pierre Corneille :  « Les canons caressent le vagin de la gloire (…) Lâches qui gâchent le panache à coups de cash ! / L’aventure est poésie. / Qui la tue ? Vos messies ! »

Après cette tornade les chœurs lyriques du Crew du Wolf walk, la rêverie individuelle : « Couché sur mon radeau, sous le ciel remorqueur / Une main dans l’eau blonde et l’autre sur mon coeur » ou Mélancollective font mer calmée, mais ne vous y fiez pas : Bossone se joue des apparences, joue sa vie en permanence à qui perd gagne, la tire à la courte paille pour savoir s’il sera mangé, ou quel agneau tombera sous ses crocs. Et vogue le radeau…

(1) reprise des Mixtapes 3
(2) terme utilisé en hip-hop

Jérémie Bossone & Kapuche, Les mélancolies pirates, Wolf walk unit, autoproduit 2019.

Enregistré aux Studios Mort de Rire (si, si) et Héraklès par Benjamin Bossone, avec Jérémie (guitares, harmonicas), Benjamin (batteries, claviers, prog), Brice « Willis Guillon (basses, contrebasses) et le Quatuor Violaine de Shawn, l’intervention des potos en skits et en chœurs.

Jérémie sera en concert le 17 mars à Genève au Festival « Bars en fêtes » et le 31 mars à Manzat au Festival « Ernest-Montpied » à l’Arthé Café, autres dates sur son site.
Mixtapes n°6 en cours.

Le site de Jérémie Bossone c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Jérémie c’est là. 

P-P-P Patricia

Spirale (audio)

Aventure (audio)