Léo Ferré, pour longtemps d’actualité
Ferré n’a beau plus manger que des racines sous le ballast, il n’en est pas moins d’actualité. En fait tout le temps. Tant que, régulièrement, nous consacrons dans ces colonnes la place pour chroniquer les disques et livres qui causent de Ferré et nous le chantent.
D’abord, évoquons le début de cette intégrale discographique co-publiée par Universal et La Mémoire et la mer. Une édition intéressante au sens où elle semble la plus complète qui soit, qui plus est économique : 14 disques couvrant la période 1944-1959, regroupant les albums parus chez Odéon, Le Chant du Monde et Odéon ainsi que des documents dont le fameux « De sacs et de cordes », récit lyrique écrit et composé par Ferré et narré par Jean Gabin, avec l’Orchestre national de la Radiodiffusion française, enregistré en janvier 1951. Ce premier coffret, intitulé La vie moderne, est introduit par une petit livret intelligent, à la belle iconographie. Prix indicatif de 39 euros, on peut ne pas s’en passer.
La lyonnaise Natasha Bezriche est coutumière du fait : elle récidive. Mais c’est vrai que Ferré lui va bien, tant qu’on dirait que l’anar monégasque a tout écrit pour elle. Les mots, les idées, les images défilent par elle, virevoltent même, tant que c’en est éblouissant. Ne tournons pas longtemps autour du pot : ce disque est un bijou qu’il vous faut posséder sans délai pour peu que vous aimiez Ferré et que vous ayez une certaine idée de la chanson indisciplinée, je n’ose dire Sauvage.
De La Marseillaise (pas celle de Rouget de l’Isle, mais bien celle de Ferré) à La lune, de La Maffia à Merde à Vauban, ce répertoire de dix-sept titres nous offre un collier de perles. Même si certaines d’entre elles ont été plus visitées que d’autres, Natasha Bezriche à une manière de les mirer qui lui est presque unique. Un choix de titres qui nous en fait découvrir, au moins pour ceux qui ne savent pas par cœur l’oeuvre de Ferré : La folie, Plus jamais, La fleur de l’âge, Nuits d’absence, Les bonnes manières, Le vin de l’assassin… Pas un seul titre qui ne soit commun avec le précédent « Ferré » de Bezriche (Lumière noire, récital de 2013), pas de redite, que de l’amour.
Je crois que le sommet de l’interprétation c’est quand, tout concentré dans l’écoute, on en oublie le créateur d’origine. Je vous jure qu’en écoutant Bezriche on oublie Ferré : on écoute, tout simplement. Le brio de Sébastien Jaudon, au piano, n’est pas pour rien dans notre plaisir : ses doigts vont sur les touches presque plus vite que la musique.
On devine déjà qu’il nous faudra retenir cet album parmi les grands disques de l’année. Ce serait bien que ça se sache.
Natasha Bezriche, Rouge Ferré, Bleu laser/La mémoire et la mer 2019. Le site de Natasha Bezriche, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Le site de Michel Buzon, c’est ici ; son blog est là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Léo Ferré et de ses repreneurs, c’est ici.
Ferré en culture Souterraine
Sarah Maison, Gontard, Maud Octallinn, Aquaserge, Corte Real, Forever Pavot, Marietta, Julien Gasc, Eddy Crampes, Aurore Chevalier, Les Vilars, Le Bâtiment : que des noms d’artistes, de groupes, qui nous sont inconnus, dans un art et une économie souterrains. Ça se nomme justement La Souterraine, structure polymorphe qui permet à de tels artistes de s’exprimer, en toute liberté, à la marge du showbiz, du ce bizness qui de toute façon n’aime pas, n’aime plus la chanson.
La Souterraine s’empare de Ferré et c’est une belle, une superbe surprise. Les voix de chacun de ces artistes nous sont inconnues, qu’importe ! Elles ont d’autant plus de force, d’autant que ces nouvelles voix Ferré sont neuves, sont jeunes. Qui s’emparent parfois de chansons emblématiques de Léo (Thank you Satan, Est-ce ainsi que les hommes vivent, Les anarchistes…) mais sont allées aussi, sur les conseils avisés de Matthieu Ferré, sur des pistes peu visitées, peu enregistrées, telles que Les Pop, La nuit, Vitrines ou encore Le bonheur. C’est insolite, enthousiasmant, avec une tonalité doucement pop-rock et des voix qui pourraient faire songer aux yéyés du début des années soixante, des yéyés respectueux de paroles consistantes, intelligentes. Ça peut remettre aussi des idées en place, des textes en perspective, loin de tout académisme, de tout exercice de style. Surtout, ça fait respirer Ferré, lui retrouver ses vingt ans. « On n’enferme pas Ferré. On ne le bâillonne pas. Près de 25 ans après sa mort, sa grande gueule éructe encore en jaillissements fulminants et continue d’insuffler aux inactuels de notre temps des désirs féroces » lit-on sur l’argumentaire de presse de cet album. Ces jeunes artistes nous le prouvent.
Pour écouter et acheter cet album, c’est ici.
Également d’actualité : Sauvage-Ferré, ainsi que deux conférences sur Léo Ferré avec Michel Grange :
Léo Ferré avec le temps et Léo Ferré la mémoire et la mer.
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=61102