C’est pour ça qu’on l’M !
La brillante parenthèse malienne de Lamomali refermée, -M- revient aux affaires avec un nouvel album en solo, 7 ans après Îl. L’objet du délice s’appelle Lettre infinie. Une magnifique pochette au graphisme chic et choc, pour emballer 13 nouvelles chansons. Idéal pour nous rappeler combien le fils de Louis est devenu un artiste majeur dans la chanson française, mariant le son d’outre-Atlantique à l’exigence des mots. En anglais, il faut qu’ça danse, en français, il faut qu’ça pense, chantait ironiquement jadis Marie-Paule Belle. Avec -M-, vous êtes gagnant sur les deux tableaux !
Quoi de neuf dans cet album ? Commençons d’abord par le quoi de vieux ! C’est que -M- est un homme de fidélité et l’on n’est dès lors guère étonné de retrouver au générique du disque quelques membres de sa garde rapprochée : le batteur Cyril Atef, le violoncelliste Vincent Segal, Brigitte Fontaine et Marcel Kanche pour l’écriture d’un titre chacun… De même, le son de l’album, résolument funky avec relents discos, rappellera ses premiers pas et plus particulièrement l’album qui l’aura fait connaître, Je dis aime (en 1999 déjà), le psychédélisme en moins. Une écoute distraite du disque, sans que cela en diminue le plaisir, pourrait donc laisser croire que l’artiste se repose sur ses acquis.
Parmi les nouveautés, on soulignera l’intervention de Thomas Bangalter, la moitié de Daft Punk (mais son apport est en réalité plus minime que ce que la presse veut laisser entendre, la collaboration étant limitée à 2 morceaux) et l’entrée en scène de sa fille Billie. On savait la famille Chédid encline à travailler ensemble, en voici une preuve de plus. La benjamine – 16 ans au compteur – assume en effet avec aisance les chœurs pour toutes les chansons. La relève est là et nul doute qu’en temps voulu, la belle volera de ses propres ailes. Le talent serait-il héréditaire ?
S’il a toujours à cœur de nous faire remuer et danser, avec cette musique de fête qu’il pratique en maestro dans son style immédiatement reconnaissable, -M- nous livre toutefois, avec cette Lettre infinie, son album le plus intime. A 47 ans, le moment semble être venu pour Mathieu Chédid de laisser entrevoir qui se masque derrière ce personnage à la coupe de cheveux extravagante. Comme si chanter son amour des gens, comme il le fait depuis ses débuts avec une naïveté assumée, devait laisser la place à son amour pour ses proches. Et plus progresse le disque, plus tombent les barrières. Soulignant au passage l’utilité d’écouter les albums dans l’ordre souhaité par leurs auteurs.
Le morceau-titre qui ouvre le disque donne le ton. Il y est question d’une lettre qui ne contient qu’une lettre, M, celle de l’amour avec des ailes. A la fois autoportrait et message universel. S’ensuivent une série de morceaux enjoués : Superchérie, efficace et accrochant morceau funky aux mots sonnants et trébuchants (Ma muse m’aimante / M’amuse et me hante), Logique est ton écho et son refrain qui sonne comme un tube des eighties, L’alchimiste au son plus rock, Grand petit con et son plateau de synthés… Autant d’occasions de bouger son corps, le sourire aux lèvres (on imagine déjà l’ambiance de feu qu’il y aura aux concerts), sur ces musiques à la production impeccable, laissant la part du lion à la guitare, bien entendu.
Pourtant, ce sont les morceaux les plus simples de l’album qui sont aussi les plus marquants. L.O.Ï.C.A., délicat piano-voix souligné à la clarinette, hymne tendre pour sa compagne (Ça s’écrit comment déjà / Quand on trouve quelqu’un comme toi ?) ou Une seule corde (paroles de David Mc Neil) à la guitare acoustique. Si près si…, hommage à Andrée Chédid, sa grand-mère décédée mais toujours aussi proche (Le son qui retentit / Me dit qu’elle est partie / Sur le Nil infini / En cet instant précis / Si près, si près de toi) ou Un autre paradis, chanson bouleversante dédiée à son ami d’enfance Raphaël Hamburger, rappelant le Paradis blanc qu’avait chanté son père Michel Berger. Sans oublier la chanson qui clôt l’ouvrage, Billie, duo complice et intime avec sa fille, offert en partage avec infiniment de pudeur.
Dans les remerciements traditionnels du livret, -M- écrit : Merci à la belle équipe qui m’a aidé à transcender cet écrin si personnel. Pour notre part, nous le remercierons de nous avoir ouvert les portes de son cœur. On connaissait le chanteur à la voix haut perchée, le guitariste virtuose, le showman aguerri, le compositeur émérite. L’écoute de ce Lettre infinie nous donne à présent l’impression de connaître mieux l’homme caché derrière ces talents.
-M-, Lettre infinie, Wagram Music, 2019. Le site de -M-, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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