Le Sahler de la peur : « et à la fin on meurt »
Si Antoine a la même voix qu’à ses dix-huit ans, il a quand même une belle expérience humaine et musicale. Ce complice de François Morel adopte d’ailleurs sur la couverture de son album une assise (chouette chaise fauve en skaï ! ) proche de celle des Deschiens, chemise (rose mauve) et pantalon ( gris glacier à revers roulé) plus sobres malgré tout, seul abandonné dans une salle d’attente où l’ophtalmo lui ferait épeler son nom à l’infini.
Musicien accompli (pianiste au départ), fan de classique et de jazz, en cavale d’HEC (les hautes études, quand elles ont commerciales, ne satisfont guère les artistes éclectiques), il est tout à la fois auteur, compositeur, (pour Maurane, Juliette Gréco, François Morel, Juliette…) interprète, pianiste-comédien de théâtre (musical !) et producteur avec son label Le furieux (Achille, Armelle Dumoulin, François Puyalto, Wladimir Anselme…et lui-même, donc)
Sahler a dû se souvenir des deux livres-CD jeunesse réalisés en 2013 et 2016, quand il a écrit ces vingt petites comptines, ballades et berceuses (quatorze vraies chansons et six interludes moqueurs, déclinant les lettres de l’ophtalmo ). Mais ces histoires de monde un peu bizarre, d’amour, de gens, de temps sont pour les grands.
Il s’est entouré des meilleurs musiciens, Jeff Hallam, bassiste pour Dominique A ; Thibaud Defever à la guitare, Raphaël Séguinier à la batterie (celui d’Arthur H…). Comme Antoine Sahler sait tout faire il est aussi aux touches du piano, du Wurlitzer et du Solina, aux cuivres et à la guitare, avec le renfort de saxophonistes, toutes des dames qui ne manquent pas de souffle, et d’un quatuor à cordes, Le Well Quartet. Aglaé Bory a mis tout ça en pages et en images, comme un carnet de voyages dans sa vie.
Dans cet album il y a toute une philosophie poétique, désabusée, loufoque et tendre, sur une musique mélodique avec des surprises au coin des notes (ces petites voix féminines qui se – qui nous – posent de vraies questions…). Et une mélancolie qui se cache sous la fantaisie apparente…
D’ailleurs il ne nous prend pas par surprise : « Des qui regrettent des qui ressassent, j’en ai plein (…) Mais des chansons tout con / Qui disent toi moi maintenant / C’est bien tellement tellement / Ben j’en ai pas ». Et pas sûr qu’il ne le regrette pas. Avec son air de chanteur humoriste décalé, c’est un fin observateur de l’absurdité de notre vie, de ce monde de surabondance vide, de course aux impératifs d’action, qui incite à rêver : « Les ruines d’un vieux moulin qu’on pourra retaper »…
La solution pourrait être l’amour : « Moi j’voudrais être tout l’temps ton prétendant / Qui te Voulzy-Souchonne dans l’téléphone », mais la séparation est douloureuse, même cachée sous un pull de laine. Belle façon de tricoter la métaphore : « Moi le benêt / J’en vais faire un bonnet / De ses mots laine polaire / Rhabillé pour l’hiver ». Apaisé, le couple se suivra via les réseaux sociaux (s’il parvient à remplir l’inquiétant protocole indiquant qu’il n’est pas une machine). Et la paternité se vivra en pointillé : « C’est étrange d’être père les semaines impaires ».
A mi parcours d’une vie le temps se fait insistant : J’étais je suis je serai. Déjà certains ont disparu, dont on se souvient à chaque paysage, à chaque chanson. C’est fascination répulsion pour l’idée de jeunesse éternelle : « C’est moi, Où tout le monde est jeune ? / Et je me sens seul avec mon puzzle / Ma cheminée mon col roulé mon épagneul » et l’espoir malgré tout de garder à l’âge avancé le désir tendre : « Tu nous vois en 2050 / Petite paires d’âmes frissonnantes ». Alors, on se rassure : « Les années sur toi passent / Et ça ne fait rien du tout » sans écouter le perfide « Pauvre chéri tu vas vieillir d’un coup ». Et la voix Off déroule avec une précision toute scientifique les progressifs mais irréparables outrages du temps…
Et à la fin on meurt… Et mon cœur en morceaux.
Alors Antoine, envie de vous retourner vos mots : « Courage (…) On peut tourner la page / Depuis qu’on sait danser sous les orages ». Ou bien : Hep [on] est là. Et puis surtout : Merci, merci, pour nous faire voir la vie avec tendresse et auto dérision.
Antoine Sahler, Le furieux /Differ-ant, 2019. La page facebook d’Antoine Sahler, c’est ici. Le site du Label Le furieux, c’est là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’Antoine Sahler, c’est ici.
Antoine Sahler est en concert à Paris-Les étoiles le 11 février 2019.
Sénescence , clip Benjamin Guillard, image Christophe Chauvin.
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