71e Grands prix Charles-Cros : tant que le disque durera…
10 janvier 2019, Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris,
L’orgue est gigantesque, haut de plusieurs étages, et la salle s’organise autour de lui. C’est là que, pour un soir pas comme les autres, la docte Académie du disque Charles-Cros s’est réfugiée, lieu autrement plus hospitalier que l’auditorium de Radio-France qui lui était loué à prix d’usure. Autre lieu donc, et une salle pas pleine. Ce n’est pas comme aux Prix de la Sacem ou aux pitoyables Victoires, où la presse fait salon. Là, la vieille dame qu’est cette Académie fait moins bonne recette. Il faudrait qu’elle se farde, se maquille aux goûts du jour pour enfin attirer une presse putassière qui n’aime remplir ses colonnes et ses écrans que de vide.
Ici, on célèbre la musique. Sur tous les tons. La contemporaine, la classique, le jazz, le blues, les musiques du monde, la chanson. Cette soirée est celle de la distribution des prix : ça fait certes vieillot et dieu que c’est bien. Une partie du meilleur des musiques est là, devant nous. Deux rangs devant moi, la boucle d’oreille de Lavilliers ; à l’autre bout du rang, Stivell. Quelque part, les frères Touré, ici, là et encore là, des musiciens, des chanteurs.
Sans doute que le préfet, qui a le privilège de représenter pour la première fois le président de la République, est un peu étranger à la magie du lieu et de la cérémonie mais il se dépatouille bien, écorche juste le nom du président Fantapié, le maître de cérémonie. Le préfet vient remettre un vase de Sèvres pour le lauréat compositeur Gérard Pesson. Puis s’en va, comme si, la corvée accomplie, le reste ne l’intéressait plus.
Il a écouté le président du Charles-Cros, Alain Fantapié, mais l’a-t-il entendu vraiment ? « On dit que l’Académie est une vieille dame, parce qu’elle a 71 ans, alors que c’est l’âge où une dame est pleinement épanouie ». Diplomate, Fantapié a remercié le préfet en mission : « Votre présence à du sens. Ça témoigne que l’Etat accorde à l’Académie un certain prix ». Le propos ne manque pas d’humour quand on sait que l’Académie ne touche plus rien de l’Etat ou presque, qu’elle crève dans l’indifférence. Et de rappeller que « l’Académie Charles-Cros a besoin de ce soutien moral ». De soutien financier aussi et surtout. Ainsi que d’une réflexion sur son devenir : « Cette notion de prix est galvaudée. Remettre un diplôme, c’est comme remettre une attestation de bonne conduite, une décoration. L’Académie n’est pas un décorateur mais un vrai acteur culturel ».
On ne va pas, ici, retranscrire tous les prix et les réactions des lauréats. Mais peut-être celle de Jordi Pujol (pour son travail sur l’édition phonographique en jazz). Lui se souvient des stickers noir et or « Charles-Cros » sur les 33 tours : « au moins, on savait que ces disques étaient des bons ! » Et de souhaiter longue vie à l’Académie, « tant que le disque durera… » Celle du chanteur Bernard Lavilliers, qui a choisi de découvrir un peu le poète que fut Charles Cros et de nous en offrir un texte, Le hareng saur, au demeurant l’un des plus connus de Cros : « Il était un grand mur blanc – nu, nu, nu / Contre le mur une échelle – haute, haute, haute / Et, par terre, un hareng saur – sec, sec, sec… » Le temps aussi de chanter On the road again, de poser vite fait avec son diplôme avant de brusquement s’éclipser, lui qui semble pourtant tant chérir ce Prix.
De la catégorie « Musiques du monde » on retiendra Alan Stivell : certes il n’a ni joué ni chanté, mais parlé longuement de cette « passion celtique » qui va « avec les passerelles et la curiosité, ouverte sur le monde ». Qui retrace son histoire et son rôle dans la culture bretonne, qui n’est selon lui pas encore pérennisée : « Il faut que quand on parle breton, on soit à égalité avec d’autres qui parlent d’autres langues ».
On pourra, entre autres, se souvenir du passage de Bonbon Vodou qui, après le Coup de cœur Charles-Prix s’adjuge le Prix du disque (c’est quand même un peu léger, n’y avait-il pas un autre artiste qu’eux à récompenser ?) Ce qui est sûr, c’est qu’on se souviendra, longtemps, de la prestation (un titre, oui, mais quel titre !) des frères Touré, de Touré Kunda : la force, la beauté, le talent. L’émotion sur scène et dans la salle. Ça, ainsi que de la prestation du pianiste François Moschetta (6e Prix Filleul de l’Académie Charles-Cros, un pur bijou !) et, hors du temps, ce court moment passé avec Karinn Helbert et Saïd Mohamed, elle au Cristal Baschet (étonnant instrument, vraiment !), lui comme orateur, justement primés pour le disque Un toit d’étoiles.
Lire aussi ici notre article sur Stivell et Lavilliers ; le reportage photographique intégral de Vincent Capraro est là.
Pour connaître l’intégralité du Palmarès c’est ici.
Personnellement, je trouve bien cruel le fait que Charles-Cros n’ait jamais reçu le prix Charles-Cros, car… Quel artiste ! Il était un peu réducteur, quand on connait son œuvre (c’est un « prix Goncourt qui m’avait Offert ses œuvres complètes, celles de Charles bien sûr !), de se limiter au seul » hareng saur », déjà bien connu ! Bernard, tu aurais pu faire un effort, merde !