Jacques Bertin, maître Yoda de la chanson
4 janvier 2019, Forum Léo-Ferré à Ivry-sur-Seine,
C’est non un village gaulois mais un de ces lieux privilégiés où la chanson a encore cours, la « chanson signifiante » comme aurait dit Béranger, le François de la chanson. Sans doute la salle au plus beau générique qui soit. Même si les murs ne se couvrent plus comme autrefois des affiches des artistes, on sent ce passé que le présent n’a pas à envier.
« Un jour nous nous embarquerons / Sur l’étang de nos souvenirs / Et referons pour le plaisir / Le voyage doux de la vie… » Pour trois soirs, c’est Bertin. Avec un cadeau peu commun : des chansons tellement fraîches qu’elles ne sont ni encore gravées ni même déposées. Qui n’ont même pas de titres, c’est dire. Avec cependant d’autres qu’il chante parfois depuis des lustres, comme L’étang chimérique, de Léo Ferré, par laquelle il entame toujours son récital.
Seul en scène, assis, à la guitare même si « Je voudrais une fête étrange et très calme / Avec des musiciens silencieux et doux… » Ses doigts sont très haut sur le manche de son instrument ; les musiques sont minimalistes, quasi répétitives, presque hypnotiques : les textes tiennent les cordes et largement prédominent. Ici c’est poésie, portée par cette intemporelle voix qui aime tant ciseler les mots, les modeler, faire sens, elle-même faire son.
Hors du temps, oui. Mais pas hors des réalités. Non celles urbaines : par ses chansons, ce sont paysages et « gros bourgs français », des équilibres qui s’étiolent, des rythmes de vies qui disparaissent : « Fini le bistrot à Dédé / C’est comme ça il est fermé / C’est l’économie qui veut ça ». « Maintenant y’a cinquante ronds-points pour un bistrot » chante-t-il non sans malice. Sans gilet apparent même si « On est des contre / Des contre-emploi ».
« Les routes savent mon histoire… » Bertin est ce chanteur de bouts de paysages, parfois de panoramiques. Traversés de vies, de pauvres qui traînent la jambe, de déconnectés, de désillusionnés. Mais fort d’espoirs, de résolutions, mêmes contrariés par des vers plus durs qu’à l’accoutumée. Pas pour rien qu’il reprenne le If de Kipling, ce « Tu seras un homme mon fils ».
Bertin est auteur et compositeur. Qui n’hésite pas, n’hésite jamais, à appeler à lui des poètes oubliés comme François Porcher et Valery Larbaud, à rappeler ses copains comme Luc Bérimont et Jean Vasca : « Amis, soyez toujours… »
Philosophe, humaniste, sage et facétieux, Bertin nous apparait comme un maître Yoda de la chanson, qui plus est cheveux rares, ébouriffés. On peut s’en éloigner, happés que nous sommes par d’autres formes de la chanson, des modes, des lubies parfois, du furtif air du temps, mais vers qui on revient en quête d’essentiel, je n’ose dire d’absolu. Tout est dit dans ses chansons ou peu s’en faut, comme dans ce Que faire ? qui clôt ce tour de chant : « Fonder quelque chose / Demeurer vivant / Brûler à tes causes / Courir en avant / Fonder l’amour même / Et l’homme nouveau / Nier le problème / Lancer des bateaux / Ouvrir une route / Cueillir le grand vent / Défier le doute / Brûler le gréement / Atteindre la rive / Débloquer le port / Débarquer les vivres / Débusquer la mort ».
Le site de Jacques Bertin, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Au Forum Léo-Ferré ce samedi 5 janvier 2019 à 20 h 45 et dimanche 6 à 18 h 30.
« Or voici que l’âge lance…
Je n’implore pas merci
Mais tandis que l’ombre avance
Il me faut dire merci
Je paye mon dû, sans attendre
Le vent me signe un acquit
Chantez ce chant, ou bien, cendre,
Qu’il soit un trésor enfoui ! »
Merci à Jacques Bertin et merci à Michel Kemper; sinon, j’ai ri en imaginant JB en Maître Yoda.
Je ne pense pas qu’il sache qui c’est ..Maître Yoda !
Rassurez-vous : Jacques Bertin est un homme de grande culture