Suissa : quand viendra demain
Par une ile chère à son cœur, La Réunion, il chante pour cette plus grande ile encore qu’est la Terre, « qui est notre mère, notre oxygène, notre frigo, notre base ». Ce Lyonnais n’a pas particulièrement la neutralité que supposerait son nom. Il chante depuis bien trois albums, faisant élégant et efficace pont « entre la chanson française et les grooves d’Afrique et de l’Océan indien ».
Il y a les rythmes chaloupés qui d’instinct se prêtent à danser. Et le propos de David Suissa, dont l’inquiétude tranche avec la supposée innocence de cette musique. Comme quoi l’une et l’autre ne sont pas incompatibles, loin s’en faut. Au reste, les paroles de Suissa sont loin d’être froides. Mais résolues. « Tellement de beautés données / Tellement de beautés et tant à préserver / C’est si compliqué d’essayer ? C’est trop compliqué non non non ». En ces temps devenus incertains, où les pires des scénarios sont désormais probables, l’écologie est devenue rare évidence. Sauf chez nos gouvernants me direz-vous. Ça fait cinquante ans que les préoccupations environnementales se sont faites, petit à petit, une place dans nos chansons. Là, la sauvegarde de la planète est d’une rare urgence, imprègne nos vies, obère notre avenir. Et ici nourrit avec intelligence et sensibilité des chansons qui devraient contribuer, si elles arrivaient à nos oreilles, à la nécessaire riposte. « Je m’inquiète un peu trop / Pour les tiens et les miens / Je m’inquiète un peu trop… Demain sera chaud ». Etonnant album, partagé entre la mélancolie d’un monde pourtant récent où tout semblait aller, couler de source, fait de gardes fous et de respect (« On respectait ceux qu’on aime et fier / On tenait presque debout / On débattait du bonheur à s’en tordre aussi le cou / Pour un monde meilleur et plus saoul ») et le présent de plus en plus inquiétant. Entre le collectif et l’individuel, nos devenirs communs. L’inquiétude qui perce sur presque tous les titres et la tendresse (très belle reprise de cette chanson de Bourvil, au son de l’accordéon de René Lacaille, évidente guest-star de cet album !) et l’amour. Plein de sentiments contrariés dans les sillons de ces chansons, mais pas antagonistes. Quand, à la fin d’un titre, le micro traine sur la voix d’un bébé, on sait plus encore l’espoir qu’il représente.
Tout est beau dans cet album. Le propos d’une rare intelligence sur l’état d’un monde, sur celui de notre société (textes de David Suissa mais aussi de Thomas Pitiot et de Stéphane Balmino). Et cette musique qui est comme un onguent sur nos blessures, sur nos douleurs. Ce Maloya réunionnais, ce Salegy malgache, cette pop, qui vous font l’effet d’une rasade de rhum et vous arment de courage. Qui, on l’imagine, pourrait vous mettre en état de transe et soulever des montagnes. Ce disque, sorti il y a quelques mois, ne peut qu’être votre album de début d’année : il est en lui-même résolution, presque révolution.
Suissa, Animal savant, production Chante et tais-toi/L’Autre distribution & Inouie distribution 2018. Le site de Suissa, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
« La tendresse », reprise, avec René Lacaille et David Doris
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