Lucien Chéenne, cœur tendre et tête de bois
On ne couvrira pas Lucien Chéenne de goudron et de plumes tel qu’il apparaît sur la pochette de son album. Parce qu’une écoute même distraite de ce premier album ( après une pré-chauffe en 2011 et deux EP en 2013 et 2015, tous épuisés) vous met immédiatement en forme, vous contraint à faire sonner les éperons, et ce même si vous ne répondez pas oui à la question « Est-ce que tu aimes, dans les westerns… ? »
Le Sarthois a trouvé son far-west en 2014 lors du festival de Tadoussac au Québec. Depuis il court vers l’ouest, bien plus loin que la Bretagne où il testa ses premières notes de musique.
Ses visions du monde, ses indignations et ses amours battent la campagne des grands espaces.
A sa guitare acoustique, une Gibson J 45 qu’il ponctue de percussions brésiliennes s’ajoutent le banjo et la guitare électrique de Manuel Bichon, qui pleure à merveille, la contrebasse de Fred Lucas, tous trois à la musique. Et puis la batterie, le violon et les cuivres, et ces deux instruments étranges, le thérémine, instrument électronique au son de scie musicale, et la pedal steel ou guitare à plat caractéristique du country, sans oublier les indispensables chœurs. Le tout a été enregistré au studio nantais de Nicolas Moreau Le garage hermétique.
Chéenne revendique des influences chanson, folk, rock et country. Comme si Desjardins avait filé un rencart à Johnny Cash, avant que Gainsbourg ne leur prête sa voix abrasive. D’où des textes d’une singularité particulière dans leur synthétisme collant au rythme qu’il leur impulse.
Ouverture à la Ennio Morricone, le vent souffle, les guitares se grattent au coin du feu , et sa voix rocailleuse « fait brûler la monnaie », galoper ses désillusions. Ses combats se font à cent à l’heure sur fond cuivré (trombone, trompette et saxophone) contre des souvenirs d’enfance pas très affectueux « J’me bats pour oublier qu’c'est toi ».
Il a même des réflexions métaphysiques, Lucien, sur le rôle sacrifié de Judas, le métèque, la balance, le mec qu’on a aimé, et qu’on voudrait sauver : « Ta corde t’accorde le droit d’être libre / Judas, t’en vas-pas / La vie ça ne dure qu’une seule fois. »
Mais que serait le far-west sans une sirène de Saloon, même si elle ne vient que de Touraine, cette Mathilde qui « dans la rue quand mon cœur saigne (…) sera la première venue. ». Elle lui inspire son plus beau vers : « Et quand elle s’ouvre à ses complices, dans ses tambours couleur argent / Claqueront les nègres cilices ».
Plus humoristique, un superbe slow parodique, « Prête moi ta bouche, j’sens pas l’ poisson », de ceux qui nous manquent depuis trente ans « Accepte le bonheur / Même s’il vient en chaussons ».
Elle a l’air d’avoir été séduite par sa barbe fleurie, Ma nue, parce qu’elle l’a accompagné au concert, au musée, et dans son nid sous la roche « [qui sert] d’abri. » Et que comme dans les contes ils s’aimeront beaucoup longtemps, et dans un train d’enfer.
Un train qui ne se ralentit légèrement que sous l’effet de la MDMA (1), en un blues rythmé, occasion d’un beau solo électrique. Encore une dose, et l’on se sent « léger comme la plus belle des roses »
Le rêve serait de faire le tour du monde Dans la Tabbert, cette caravane mythique, abri contre tous les coups du sort. Une reprise de son tout premier album qui s’insère parfaitement dans le paysage, avec ses images qui jaillissent à chaque tour de roue : « On recevait des régulières gueulant Django sur fond d’enfer / A quinze on plombait les essieux dans la Tabbert / Les caves en Trigano nous regardaient comme des veaux / Rouler notre foin ».
L’album se clôt sur une lancinante ballade, sommet de l’album où sa voix crée l’émotion : « Y a pas d’amour ni de pensées pour un sourd / Qui jouait avec les cœurs en pensant louer à l’heure / Une paire de sentiments, va-t’en ». Ou du goudron et des plumes.
(1) Ecstasy
Lucien Chéenne, Pied-tendre, album Le Chenil production, 2018.
La page facebook de Lucien c’est ici. Son site c’est là. A noter dans les goodies, les paroles et les tablatures des chansons. A vos guitares. Pour acheter l’album c’est là.
La tournée d’hiver de Lucien démarre le 4 janvier 2019 avec une résidence à La Palène à Rouillac jusqu’au 9 janvier. Toutes les dates sur son site.
Tout pris
La Tabbert, en version vintage lente et acoustique
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