La boîte à musique de Karin Clercq
Selon la mythologie, Zeus avait enfermé dans une boîte tous les maux de l’humanité (maladie, vieillesse, guerre…). Poussée par la curiosité, Pandore ouvrit celle-ci, laissant s’échapper ses maléfiques occupants. Seule l’espérance n’eut pas le temps de sortir…
La Boîte de Pandore, c’est le titre du nouvel album de Karin Clercq, dont nous étions sans nouvelles discographiques en solo depuis 2009. La chanteuse bruxelloise nous avait bouleversés avec son premier disque, Femme X (en 2002 déjà, comme le temps passe…), réalisé par Guillaume Jouan, le complice des débuts de Miossec. Après 2 autres albums, recommandables également, elle avait quitté le devant de la scène pour d’autres projets collectifs. Le plaisir n’en est que plus grand de la retrouver aujourd’hui, avec un opus alliant la maturité du propos à l’évidence mélodique.
Voici donc un recueil de 12 chansons qui s’inscrit pleinement dans notre époque troublée. Auteure de toutes les paroles, Karin Clercq nous y fait part de ses doutes, ses questionnements, ses engagements. Qu’elle se glisse dans la peau d’un migrant sur son bateau de fortune (J’avance / Le reste n’a plus d’importance / J’avance / Vers une autre existence) ou dans celle d’une jeune fille de la fin du 19ème siècle (Ma route est toute tracée / Depuis le jour où je suis née / Je serai reine de ma maison / Mon royaume comme prison), toujours son cœur bat pour les plus faibles. Quoi de plus logique dès lors qu’elle refasse appel aux légendes grecques (après la Pandore du titre et la Cassandre qu’elle avait chantée jadis) pour clôturer son album, par un magistral morceau de plus de 6 minutes revisitant le mythe d’Antigone, qui avait osé défier l’autorité du roi pour vivre (et en mourir) en accord avec ses principes ? De la chanson engagée pour la politique la plus belle qui soit : pour l’humanité !
Féministe, ce disque ? Assurément. Pas au sens militant, mais en reflétant la manière dont vit une femme de nos jours. Qui assume ses échecs sentimentaux sans culpabiliser (Je garde ton sourire, j’efface nos erreurs / Je garde le meilleur et j’enterre le pire, nous chante-t-elle dans un beau duo avec Sacha Toorop). Qui s’interroge sur le couple d’égal à égal (Parti / C’était bien parti / Tu me voulais, moi aussi) et préfère rompre que vivre le tiède (Je ne veux pas que tes caresses / Se posent sur moi un jour par paresse). Qui revendique sa sexualité (très belle reprise de la plus grande chanson fantasmatique qui soit, Madame rêve de Bashung). Et si elle laisse la parole aux hommes, c’est pour une adaptation du monologue de Perdican issu d’On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset : Nous sommes jaloux, autoritaires / Excessifs et complexés / Immatures, juste un peu pervers / Et égoïstes à en pleurer.
Ces beaux textes sont portés par des musiques également de la main de Karin Clercq, souvent aidée en cette tâche par Alice Vande Voorde et Emmanuel Delcourt, réalisateur par ailleurs de l’album. Comme chez Zazie, le son est doucement rock, entraînant sans être agressif. De la belle chanson française, soignée, intelligente, bardée de références littéraires sans être distante pour autant, qui pourrait faire les belles heures des radios si les programmateurs sortaient des sentiers battus. Le pendant féminin d’un Pascal Rinaldi, quoi…
Partez à la rencontre de Karin Clercq. L’écoute de son disque, que l’on pressent en parfait accord avec son autrice, nous donne l’occasion de faire la connaissance d’une belle personne. Honnête et droite. Lucide mais pas désenchantée. Il nous reste encore l’espoir / Dans la boîte de Pandore / Il nous reste encore l’espoir / Que l’homme s’améliore. Chanté par si belle voix, on a envie d’y croire.
Karin Clercq, La Boîte de Pandore, Gabal productions, 2018. Le site de Karin Clercq, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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