Ce Renaud qu’on aime et qu’on raille
14 novembre 2018, A Thou bout d’Chant, à Lyon,
Discuter (et se disputer) pour savoir si Renaud est un des grands de la chanson française n’a que peu d’intérêt. N’empêche. Il y a visiblement deux regards distincts sur le chanteur énervant : par son œuvre, qui intéresse les amateurs éclairés de chanson ; par le personnage, toujours vivant, qui passionne en plus grand nombre des fanatiques sans beaucoup de distance critique.
Les « tribute » (vous pouvez aussi dire les « hommages », vous ne passerez pas systématiquement pour un ringard) à Renaud se multiplient ici et là. Et font le plein de salles modestes, peuplées de ces amateurs aux cheveux blanchis qui dissertent à loisir de l’œuvre. A savoir jusque quand elle est digne d’intérêt, à partir de quand on peut s’en dispenser. Il y a ceux pour qui tout est bon chez lui y’a rien à jeter, d’Hexagone (« La France est un pays de flics / À tous les coins du rue y’en a cent / Pour faire régner l’ordre public / Ils assassinent impunément ») au fameux J’ai embrassé un flic. Et d’autres pour qui, mordicus, tout s’arrête À la belle de mai en 1994, dédaignant même le Boucan d’enfer paru quelques années plus tard… Si on se fie au répertoire chanté sur cette scène lyonnaise, le « bon » Renaud ne va pas au-delà et semble plus encore se concentrer sur un album en particulier, d’où fut extrait le tiers de la soirée : le Morgane de toi de 1983 (que les moins de vingt ans sont censés ne pas connaître !).
Et LA chanson de Renaud, alors ? A sonder les sondages, c’est incontestablement Mistral gagnant : ce fut d’ailleurs la seule reprise en chœur par tous les artistes ce soir-là. Mais je pense à une autre qui, par deux versions différentes, s’y imposa : Hexagone. Par celle réactualisée, en 1995, de Patrick Font et Philippe Val, chantée ici par le sémillant Nicolas Bacchus. Et par celle, et pour cause inédite, de Reno Bistan, que celui-ci bricolait encore, retouchait, en biffait des couplets quelques minutes avant : ce fut le monument de la soirée, acclamé comme il se doit : « Lorsqu’au mois de mars on élit / De l’autre côté du Mont Blanc / Un apprenti Mussolini / Pas très cool avec les migrants / On se dit que c’est bien flippant / Qu’on ne prendra plus le Fréjus / Mais on oublie qu’notre président / Aussi a r’fusé l’Aquarius » (lire ci-contre un extrait). Et une chanson de plus dans l’escarcelle de ce président qui nous fait marcher !
Un « tribute » n’est pas un concours de beauté et nous ne tenterons pas un classement. Mais quand même. Il est des chansons qu’on retient plus encore de ce soir-là, cause à leur interprétation. Ainsi Noémie Brigant sur Morgane de toi, pas parfaite loin s’en faut, mais jamais personne, Renaud le premier, ne s’était emparé à tel point de ce si beau texte, interpellant Lola dans son bac à sable, débordant de son statut de chanteuse pour devenir actrice de cette chanson. Du grand art, assurément. On ne fera pas l’impasse du tandem Gaillard et Bobin, très pros : faut dire que des années durant ils ont chanté ensemble Renaud. Ni de l’étonnant « human beat-box » Kosh. De Zim, si émouvant en chantant En cloque, y ajoutant même un couplet pour rendre hommage à sa compagne qui attend leur enfant. Eux et Morikan, Clément Soto, Marie Daviet, Claire Sabbagh, Juliette Diling-Diling, Thaïs Té et YvesmariebelloT, Yannick Aime et l’un des boss du lieu Matthias Bouffay, lui dans une très sensible interprétation de La pêche à la ligne.
Beaucoup de respect pour ses chansons, moins pour Renaud lui-même, passé plus souvent à la paille de fer qu’à la brosse à reluire. C’est une façon de l’aimer me direz-vous. C’est ainsi qu’il passera à la postérité.
NB. Autre « évènement » de cette soirée : la présentation exclusive du livre « Renaud » de Michel Kemper et Héran, chez Plume & Pinceau. Livre dont nous ne savons hélas toujours pas la date de sortie en commerce (pour l’heure, c’est bien plus qu’un collector !). NosEnchanteurs vous en parlera prochainement sous la « plume » de mon collègue Pol de Groeve, la mienne ne pouvant être tout à fait objective.
On retrouve des images de cette soirée ici.
Où peut-on trouver la chanson Hexa-gone en intégrale ?
Nous avons demandé à Reno Bistan l’autorisation de publier des extraits de son texte, ce que nous venons de faire. Vous pouvez sans doute lui demander les paroles en entier en s’adressant à lui sur messenger.
Effectivement. Pour moi le meilleur de Renaud sont ses premiers albums. Mais c’est souvent dommage que les gens qui ne connaissent pas très bien Renaud ne connaissent que les 10 mêmes chansons que l’on a toujours passé à la radio alors qu’il y a des véritables perles dans les vieilles chansons d il y a 40 ans
Pour rebondir sur ce qu’écrit Artannes plus haut : « Pour moi le meilleur de Renaud sont ses premiers albums. » mon nouveau spectacle « Renaud 70s » sera consacré aux premières chansons de Renaud, notamment celles des trois premiers albums, sortis dans les années 70 (d’où le titre du tour de chant) et quelque chansons de l’album « Marche à l’ombre » (sorti en 1980) … mon but n’est nullement de me poser en « interprète de » , ni de rendre « hommage à « , mais de revivre et faire revivre de chaleureuses soirées entre copains, guitare en main, quand nous chantions ensembles ces chansons qui nous ont fait découvrir le « chanteur énervant » … Seul en scène guitare voix, dédié aux lieux intimistes … je jouerai le premier dimanche 13 janvier à la Ferme Théâtre de Lablachère, en Ardèche. Ensuite … on verra. Mais l’envie est là depuis longtemps.