Leïla Huissoud : la valeur n’attend pas le nombre des années
On avait découvert avec bonheur quelques unes des nouvelles chansons sur scène cet été à Barjac, en avant-première de ce deuxième album de Leïla Huissoud. L’écoute du nouvel opus, Auguste, confirme le coup de cœur ; l’écriture est toujours vive et authentique, les mots sincères et parfois âpres, les mélodies se sont enrichies et affinées d’arrangements subtils.
On commence fort avec La farce qu’on avait déjà entendu sur scène comme une belle p’tite claque salutaire pour le public « Sur scène on n’est pas plus malin/Mais vous êtes censés la fermer ». Tout est dit ou presque, Leïla Huissoud n’est pas le genre à « sourire avec les dents », et ses chansons s’en font l’écho. Qui le lui reprocherait ? Pas nous en tout cas ; si certains réclament des sourires aux chanteuses (comme à Anne Sylvestre, une de ses références), les chanteurs peuvent jouer aux beaux ténébreux ! Bref, prenez-là comme elle est, elle n’en fera qu’à sa tête, ce n’est pas le genre à faire des pirouettes pour nous séduire, et son sourire n’en est que plus magique quand il surgit…
En attendant, elle nous attrape le cœur au détour dès Caracole, chanson intime mystérieuse qui porte en elle une tristesse légère comme « le vent dans ses cheveux » et si « L’oubli peut bien traîner des pieds/Le ciel connaît tout plein d’histoires ». La voix se fait douce aussi pour les beaux mots nostalgiques de Frangines, le temps qui passe « Maintenant on s’ressemble plus vraiment/Y a bien la gueule mais pas l’dedans » et les chemins de la famille qui se séparent « On s’verra aux anniversaires » et s’allongent.
Leïla Huissoud, belle ténébreuse ? Chianteuse en tout cas, c’est elle qui le dit « Je s’rai grogneuse amplifiée/Pour gagner ma vie » mais on le sait, elle ne parle pas d’elle, mais de ceux qui exposent sur scène leur « ego surdimensionné ». Encore qu’on se dit qu’à défaut d’être « L’empaffée au micro/Sensible et torturée », elle doit bien l’avoir un peu à fleur de peau, cette sensibilité-là, pour que son Auguste sonne ensuite si juste, « On m’a fait clown et puis voilà/L’sourire crucifié sur la voix/Paraît qu’les gueules qui font marrer/Ont souvent les joues mouillées », cette pudeur du nez rouge qui cache une tristesse infinie dans les yeux clairs. Le rouge ? Omniprésent sur le livret de l’album : mention spéciale pour les photos superbes de David Farge sur une belle idée d’habillage corporel d’un rouge flamboyant.
Voilà qu’arrive un mot incongru dans un album d’aujourd’hui : communiste ! (le rouge encore ?) et c’est là pour un enfant à faire. Avec Mathias Malzieu (chanteur du groupe français Dionysos, entre autre) et sa voix élégante, un bien joli duo où on s’engage à deux voix en chanson comme en amour « Parce qu’on se fout des règles/Parce qu’on s’aime au-delà/Il f’ra de sa naissance une grève/Et du rouge son combat ». On en comprendra l’image, le rouge comme « Le parti de la fronde/Verra son étendard germer/Au creux de l’origine du monde »… Dans une des rares chansons qu’elle n’ait pas écrite et composée elle-même, Le Vendeur de paratonnerre, les accents de Brassens pour l’univers et la musique (« Qu’on laisse pour une fois la parole au cocu ! ») et d’Evelyne Gallet pour la voix (on a connu pire « famille de chanson » !) ne déméritent pas dans cette belle voix si singulière, qui peut jongler avec l’acidulé et le rauque dans les mêmes notes.
En écoutant Les Tours de rond-point, quel plaisir de prendre conscience qu’on entend pleinement la voix ; jamais les instruments pourtant nombreux ne sont envahissants. Les classiques guitare, violon, piano, batterie, mais aussi banjo ou cymballum, notes de trompette ou de trombone, se fondent dans la voix sans l’étouffer, et bien au contraire soutiennent et rythment subtilement la mélodie. Après un guitare-voix tout simple pour le premier album, voilà un pari réussi, de beaux arrangements et un travail complice à découvrir dans la vidéo ci-dessous (1). Point final de l’album avec La mineure (celui-là même qu’elle a mis « six ans à maîtriser » !) qui joue avec les notes « Prenez-moi je pars en dièse mais partition dire au revoir » et n’hésite pas à le dire même en chanson « J’suis une merde en solfège et pour la note, j’vous laisse payer » !
Il y a de tout dans cet album sans que ça choque, de la colère et de la révolte, de la douceur et de la tendresse. Ça collisionne joyeusement et c’est ce qu’on aime, une profonde originalité qui parle de chanson, d’amour, de liberté et d’absolu, comme autant de tranches de vie qui nous parle d’elle, qui nous parlent de nous. Si un jour le monde l’inspire, on sait que ce sera sans concession ! Une « petite chanteuse », nous dit-elle ? Sûrement pas. D’accord, « Ce n’est qu’un tour de chant » mais quand on montre si jeune un mélange détonant de culot, de charme et de simplicité, d’une belle voix qui semble capable de tout, et qu’on a le talent d’écrire des chansons qui ont un vrai univers, c’est juste qu’on a l’étoffe d’une grande !
Le site de Leïla Huissoud c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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