Nuits de Champagne 2018, Fred Pellerin, conteux chanteur à 900 plus 2 voix
Au Québec, on a gardé cette belle habitude, que l’on soit jeune ou vieux, et c’est un sport national…qu’on retrouve chez les troubadours toulousains ou les diseurs marseillais. Improvisation et délires verbaux, richesse d’une langue inventive qu’il revendique du plus profond de son pays, nous racontant avec humour et poésie les gens de là-bas, son village Saint-Élie-de-Caxton « où les lutins et les fées s’écrasent dans les pare-brise le soir », Fred Pellerin est d’abord un « conteux ». Ce qu’il nous prouve deux soirs de suite au Festival.
Mais chanteur, quand on l’a écouté une fois on se demande pourquoi il s’entête à parler tellement sa voix coule de source, et ses mots sur la musique…
Et puis, son charmant accent québécois peut gêner notre compréhension de vilains français à l’accent pointu à la voix parlée, tandis qu’il n’est qu’un charme de plus en chanson !
Alors régulièrement, Fred nous gratifie d’un bel album… Plus tard qu’on Pense est sorti au Québec en novembre 2014. Il y signe trois textes (C’est combien, Le musée du jamais vu, et Ovide) et cinq compositions sur les douze titres de l’album.
Sur des accords de cordes frottées pleins de charme, de sa voix tendre qui se voile, il y parle des gens de son pays : Ovide, les Gens du vieux rêve, « gens des rivières et des tabous » , et ses interrogations sur l’avenir rejoignent celles de Stephen Faulkner pour ces Cajuns de l’an 2000 (1992). De fils en pères, de René Richard Cyr évoque ces paternités spirituelles et contradictoires qui font de vous un humain de la chaîne des hommes : «Et d’un poète qu’on enferma / D’un architecte de grand barrage / Et d’un soûlon qui buvait pas / D’un doux, d’une brute et d’un bûcheron / D’un coureur de bois, de jupons. »
Son inquiétude sur notre monde est particulièrement pertinente dans C’est combien : « A la santé de la croissance, de la croissance / On laisse dormir l’amour dans les petites avances / L’incalculable a rendu l’âme / Mais le silence, notre silence / C’est combien ? »
Il nous chante l’amour et ses aléas – Plus tard qu’on pense, J’espère ne pas tomber en amour avec toi (version française de la chanson de Tom Waits), Les couleurs de ton départ : « Je sais qu’un jour/ Tu me quitteras / Pour tous les bleus / Je te quitterai / Pour tous mes gris » , et cette Unetelle d’un couple faussement modèle : « Ça mettrait l’feu à leur chandelle / Bien que mon ex les trouve ben beaux ».
Ou louche vers le jazz avec des chansons de haute fantaisie : Le musée du jamais vu : «Y a un cyclope qui louche / Une cage sans barreaux avec la liberté dedans », ou Bang Bang.
Et puis reprend avec tellement d’émotion la belle chanson de Vigneault, Le Grand Cerf-volant.(1)
Un album tellement québécois, tellement bien écrit, tellement universel. De son interprétation proche et sensible, entre tendresse, inquiétude et sourire, on sort bouleversés.
Pour la première fois en France, Fred Pellerin est invité également à chanter ce répertoire, ce sera ce jeudi 25 octobre au Théâtre de la Madeleine, puis avec le Grand Choral et Francis Cabrel en final les 26 et 27 octobre à L’Espace Argence pour le Concert « Le souffle des guitares » dont il sera le guide.
(1) Paroles Gilles Vigneault, Musique Gilles Vigneault et Robert Bibeau (1983). Extrait de l’album « Un jour je ferai mon grand-cerf-volant » (1983). On trouve la version audio de Vigneault ici, et une vidéo de concert (INA, 1984) là.
Un livre éponyme de contes, poèmes et chansons écrit par Gilles Vigneault est paru en 1986.
Le site de Fred Pellerin, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
Fred Pellerin est actuellement en tournée en France depuis le 11 octobre pour Un village en trois dés, au Festival des Nuits de Champagne à Troyes, le 22 et le 23 pour les contes, et en chansons pour le prochain spectacle du jeudi 25 octobre 2018 puis les 26 et 27 pour « Le souffle des guitares » avec Francis Cabrel et le Grand Choral. On le retrouvera le 24 janvier 2019 à Evron (53) et le 15 mai à Nantes
Mais conteur, quand on l’a écouté une fois on se demande pourquoi il s’entête à chanter tellement ses inventions verbales sont tendres, drôles et jubilatoires…
En fait ses contes ont besoin des deux, de la parole en liberté qui s’improvise sur des néologismes des jeux de mots mais aussi de la chanson grave qui vient lester, et rythmer ses contes pour leur donner une respiration. J’apprécie beaucoup ses chansons mais Fred Pellerin ne me paraît pas être un chanteur exceptionnel (Lapointe et Desjardin me touchent autant). Mais le conteur Fred Pellerin est absolument unique parce qu’il n’improvise pas seulement à partir de schèmes narratifs comme le font les autres grands conteurs mais à partir des mots mêmes avec lesquels il jongle et qu’il réenchante. Bref il faut aller écouter le poète Fred Pellerin raconter et fredonner.