Angèle, la discobrol
La jeune bruxelloise Angèle est certainement l’artiste la plus hype du moment et la sortie de son 1er album ce 5 octobre est un incontestable événement médiatique. C’est que la belle, depuis plus d’un an, a su y faire pour faire monter la pression, créer le buzz, générer une attente insensée. A coups de clips bien léchés qui totalisent plus de 20 millions de vues, de compte Instagram mené de main de maître ou de déclarations choisies, la chanteuse a réussi à se faire connaître sans avoir sorti le moindre album (mais était-ce si différent jadis, quand une Sheila n’existait que par ses 45 tours ?). Même les plus grands festivals de Belgique se sont arraché sa présence cet été, alors que tout était encore à prouver. Et la sortie de son CD s’est assortie d’une opération marketing d’envergure, dont le point d’orgue est l’ouverture à Bruxelles d’un magasin éphémère dédié à son univers. Alors, Angèle, un Stromae au féminin ? Un pur produit de merchandising ou une artiste singulière et intelligente qui, du haut de ses 22 ans, a tout compris de l’art et la manière de faire du show-bizz aujourd’hui ?
L’album s’intitule malicieusement Brol, clin d’œil à ses origines. Un mot typiquement belge pour désigner le « désordre » ou le « bordel ». « C’est quoi ce brol dans ta chambre ? », criera à juste titre la maman avisée à son grand crétin d’ado. Un terme pas spécialement bien adapté au disque, tant celui-ci est ordonné et uniforme, le son ne variant pas vraiment d’un titre à l’autre. Angèle fait dans l’électro-pop douce et n’en digresse à aucun moment. Les 12 chansons de l’album (dont les quatre morceaux clipés qui l’ont fait connaître – La loi de Murphy, Je veux tes yeux, La Thune et Jalousie) se suivent donc et se ressemblent un peu. L’artiste nous propose certes son univers, mais ne confondrait-elle pas cohérence et uniformité ?
Nonobstant cela, reconnaissons que chaque chanson est agréable à écouter. Mélodies aisées qui restent dans l’oreille, voix un peu brisée et juvénile (comme la Cœur de Pirate des débuts), parlé-chanté qui coule sans agressivité… De la vraie fraîcheur de vivre, dixit une veille publicité.
Pour les textes, format pop oblige, on ne s’attendra pas à du Brassens new look. Chaque chanson est bâtie sur le même modèle : 2 ou 3 couplets (courts) et un refrain, qu’on répète à l’infini pour finir le morceau. Classique, pas de révolution en vue. Les thèmes abordés sont ceux au cœur des préoccupations de la jeunesse d’aujourd’hui : les réseaux sociaux, la gloire instantanée, les relations sentimentales… Pas de grands discours, juste quelques remarques acidulées pour mettre l’accent sur la superficialité contemporaine. Avec la contradiction que cela suppose : s’il y a bien quelqu’un qui a su tirer profit de ce monde virtuel, c’est Angèle ! Pour le reste, rien ne dépasse et l’ensemble est consensuel à souhait. On évitera donc de trop s’attacher au « message », réduit à la portion congrue, pas plus qu’on ne sera trop regardant sur la qualité littéraire des paroles.
Au final, Brol est un premier disque d’une très jeune artiste, qui a les défauts de ses qualités. Sa spontanéité et sa fougue vont de pair avec son manque de vécu et son inexpérience. Au moins ne pourra-t-on lui ôter d’avoir fait une œuvre reflétant sa personnalité. Le talent est en germe, ne lui reste qu’à grandir. Vu le battage médiatique, l’album connaîtra très certainement un succès disproportionné par rapport à ses qualités réelles. Souhaitons à Angèle de ne pas se laisser éblouir. Elle en semble d’ailleurs consciente, peut-être même un peu dépassée par le tourbillon dans lequel elle est entraînée. Ne nous chante-t-elle pas très lucidement Les gens ne t’aiment pas pour de vrai / Tout le monde te trouve géniale alors que t’as rien fait ???
Angèle, Brol, Angèle VL Records, 2018. Retrouvez Angèle en Chanson du jour sur NosEnchanteurs : c’est ici.
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