Rencontre posthume entre Maurane et Brel
On prendra cet album pour ce qu’il est : le témoignage amoureux d’une chanteuse pour qui Brel fut le début et la fin, le ying et le yang, l’endroit comme l’Anvers : « Ça fait 15 ans, 20 ans que j’en rêve » avait-elle dit à propos de ce projet d’album. Un presque disque, ébauche avant le véritable enregistrement. Il aurait été dommage de taire de telles maquettes, de les laisser mourir au fond d’un tiroir. Ce fut d’ailleurs la volonté première de la maison de disque, pas celle de Lou, la fille de Maurane, à qui on doit la sortie de ce très estimable album et la séduisante pochette qu’elle a dessiné.
Ce n’est pas faire injure à la mémoire de Maurane que de dire qu’elle n’a jamais été aussi bonne chanteuse que quand elle interprétait les chansons des autres. Vous aurez beau me citer Le prélude de Bach et Toutes les mamas, l’un de 1989 l’autre de 1991, seuls ces deux titres nous viennent à l’esprit, le reste semblant parti pour l’oubli… Par contre, à un moment où les chanteuses à voix se taillèrent en radios et télés la part de la lionne, convenons sans mal que Maurane sut, elle, faire entendre la sienne en de subtils choix. Et des duos souvent dignes d’anthologie.
Ce disque consacré à Jacques Brel ne peut donc nous surprendre. Brel fut le sujet du premier spectacle de Claudine Luypaerts, future Maurane, en 1979 ; il sera la dernière chanson, celle des vieux amants ça ne s’invente pas, chantée en public par Maurane le 6 mai 2018, veille de son trépas.
On peut espérer ou craindre à l’écoute d’un repreneur : qu’il nous fasse oublier le créateur d’origine ou qu’au contraire il nous le fasse plus encore regretter. Ni l’un ni l’autre ici. Ou justement les deux. C’est du bel ouvrage, une honnête interprétation, sans doute pas assez affranchie du tuteur. Tout est comme assagi, d’autres que moi diraient affadi. S’il est du commun des mortels, à plus forte raison avec la voix que Maurane a, de reprendre Vesoul, Rosa ou La chanson des vieux amants, il l’est moins de chanter La ville s’endormait ou Orly : dans ces titres particulièrement, on a l’impression que Maurane reste en surface, ne sait se frayer un passage… Encore que nous ne saurons nous jamais quelle aurait dû être la mouture finale, celle-ci n’en étant que le brouillon. Ce n’est qu’un témoignage avec cette émotion surnuméraire cause qu’elle a depuis rejoint le Grand Jacques on ne sait où, dans ses îles sans doute.
Ce disque, bien mais sans plus, a au moins le mérite de prolonger Maurane en nous et d’offrir à son public, au cas où il ne les connaisse pas ou pas assez, le nom et les chansons de Jacques Brel, disparu il y a quarante ans. C’est déjà ça, c’est énorme.
Maurane, Brel, Polydor/Universal, sortie le 12 octobre 2018. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est ici.
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