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Féloche, chimiste de la vie

Féloche lors de la récente Fête de L'Humanité (photo Vincent Capraro)

Féloche lors de la récente Fête de L’Humanité (photo Vincent Capraro)

Qu’il est difficile parfois d’être critique musical ! On attend de ce digne représentant de presse qu’il dissèque les points forts et les faiblesses d’un disque, en le replaçant dans l’œuvre de l’artiste ou dans le milieu musical dont il est issu, l’analyse avec toute l’objectivité requise, livre le fruit de ses savantes réflexions dans un texte solidement charpenté… En un mot, qu’il permette au lecteur de se faire une idée précise de l’œuvre étudiée.

Mais quid lorsque l’on a affaire à un funambule de la chanson, à un de ces chanteurs plus difficiles à saisir qu’une anguille des marais, à un artiste en apesanteur rétif à toute classification préétablie ? Voilà le pauvre critique bien marri…

Prenez Féloche, par exemple, dont le troisième disque vient d’atterrir dans les bacs. On l’avait découvert en 2010, avec La vie cajun, bel opus aux senteurs louisianaises, qui s’offrait le luxe d’un duo avec le légendaire Dr. John. On l’avait retrouvé en 2013 avec Silbo, disque de voyages, qui lui avait valu d’être nommé aux Victoires de la musique en 2015, dans la catégorie « Révélations scène » (bel exploit pour un artiste indépendant). Et le voici, cinq ans plus tard, qui nous revient avec Chimie vivante, que l’on a bien du mal à définir en quelques mots.

C’est que ce disque, comme son auteur, a tout de l’électron libre. Liberté voulue et acquise par Féloche, qui a mené sa quête en solitaire de A à Z : CD produit par lui pour son propre label, enregistré et arrangé de ses petites mains habiles, qui ont joué de tous les instruments (pour l’essentiel, des programmations), ou peu s’en faut. Seuls les textes ont fait l’objet d’une délégation partielle, toutes les compositions restant sa chasse gardée. Ainsi, sans garde-fous castrateurs, l’artiste a-t-il pu donner libre cours à sa folie, en digne successeur de Jacques Higelin. Pour un résultat détonnant.

felocheL’album s’ouvre et se ferme sur des voix de mômes (les propres rejetons de Féloche, Rosaline et Ulysse Le Bars). Au départ, Le miroir, réflexion sur la dualité et la vieillesse, à l’arrivée Je crie, chanson sur le deuil et le souvenir. Le premier morceau s’achève sur les mots « C’est le calme plat et puis la tempête », tandis que le second se clôture par ces mots d’enfants « On joue ? Viens papa viens ! Tu joues, tu vas jouer, on joue ». Comme un résumé du disque, faits de tourments, de questionnements, de noirceur parfois, mais avec toujours la lumière au bout du chemin.

Entre ces deux chansons éminemment personnelles, Féloche nous aura emmenés en balade, naviguant du postulat scientifique (« Je suis une chimie vivante / J’ai des gonades à défouler / Et un petit cœur à pulser ») à l’envie d’ailleurs (« Et dans la chambre où mon cœur attend le voyage / J’aurai tôt fait d’amasser / Cartes, vivres, gages »), du constat étrange et désabusé (« On ne revient pas des crocodiles ») à la déclaration amoureuse (« Toi seule me fais l’effet »), avec une belle ode à la liberté au milieu du gué (Tara Tari, du nom du bateau de Capucine Trochet, navigatrice amatrice souffrant d’une maladie des articulations, qui a tout plaqué pour traverser l’Atlantique, contre l’avis de tous). Le propos poétique n’est certes pas toujours des plus clairs, mais qu’importe le flacon puisque l’ivresse est là, dans ces chansons bricolées, mêlant mandoline et violons, boîtes à rythmes et synthés, chants de cantatrices et voix déformées à l’autotune, parlé-chanté et rap…

Chimie vivante est un album de voyage, un mélange hétérogène, une pierre philosophale. Périple au long cours, chacune de ses étapes n’a pas le même impact, mais la destination finale est si belle que l’on effacera de sa mémoire les petits déplaisirs du chemin.

 

Féloche, Chimie vivante, Silbo records, 2018. Le site de Féloche, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Image de prévisualisation YouTube

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