Barjac 2018. L’Atelier de Réparation de Chansons de Mouchès & Sourigues : ça casse et ça passe
Sauvé dans Anne-Marie Panigada, En scène, Festivals, Francis Panigada, L'Équipe
Tags: Alain Sourigues, Barjac 2018, Jean Mouchès, Nouvelles
Barjac fut longtemps considéré comme le temple de la chanson, une sorte de Mecque ou chaque année de nombreux fidèles venaient vénérer la chanson « vivante ». Vivante, certes mais ô combien sacralisée au point que les entorses aux sacro-saints canons de cette chanson française faisaient bondir certains aficionados à la limite de l’intégrisme quasi religieux. Le festival « Barjac m’enchante » 2018, poursuivant sa mue, aura bousculé tout cela et démontré que la chanson peut s’user si l’on ne s’en sert pas, si l’on ne se l’approprie pas, si elle ne suit pas le fil de la vie, si elle ne nous accompagne pas dans le quotidien. Cette chanson, notre chanson, cet art portatif, singulier, intime, se sent plus à l’aise et respire bien mieux dans l’air du temps que dans les musées ou figée dans la cire.
Deux moments de cette édition en auront fait la démonstration : la judicieuse actualisation d’une révolte, avec la reprise de Ma France de Jean Ferrat par Géraldine Torrès et le jeu jubilatoire, tentative de déconstruction et reconstruction de L’aigle noir de Barbara par ces deux iconoclastes que sont Mouchès et Sourigues. On peut toucher aux monstres sacrés. Au diable ceux qui voudraient statufier la chanson !
Venons-en à nos deux compères : Alain Sourigues, bien connu déjà du public de Barjac et Jean Mouchès, longtemps éloigné de la scène et dont le retour ne peut que nous enchanter. Tous deux sont des joueurs de mots, des bricoleurs de rimes et de notes, des apprentis sorciers. Ces deux Landais se sont réunis dans une entreprise fort salutaire, une structure artisanale, spécialisée dans l’entretien courant et la réparation de chansons nécessiteuses. Ils ont donc pour cela passé leur Bac Pro d’ARC (Atelier de Réparation de Chansons), puis la licence et le doctorat. Pour eux, si la chanson est sujette à l’usure, voire à la mort, pas d’angoisse, des techniques sont là pour les restaurer parmi lesquelles on notera la léoferrisation à froid, l’échodoubleuse, la translation longimorphe à visée vernaculaire ou le tournevis. Parfois un simple réglage de routine suffit, mais un passage sur le marbre s’avérera indispensable dans les cas les plus désespérés.
Quelques exemples, en démonstration, nous auront permis de juger de ce travail, à commencer par cet Aigle noir, si vague et imprécis, dont le verbe poétique et bien trop littéraire ne sied guère aux oreilles modernes. Une version reconditionnée deviendra donc, par exemple, à force de réglages successifs : « un mardi soir près de Bordeaux-Lac, j’ai vu un aigle black ». Faisant appel à Queneau et à l’Oulipo, ces deux experts du jeu de mots entonneront un blues de l’autobus convoquant successivement Renaud, Cabrel et Souchon, s’attaqueront à la mise en chanson de Mallarmé, nous offriront un Amsterdam en langue des signes et une tentative de fusion intitulée Barbarassens. Rien ne leur échappe ; ni les aléas de la traduction, ni l’adaptation française de tubes étrangers, témoin la bien « franchouillarde » version d’Hôtel California.
C’est évidemment l’humour, le jeu, qui sont les ressorts de ce spectacle, encore en devenir d’après ces deux artistes et artisans (on en redemande d’ailleurs…), mais aussi la virtuosité, la subtilité du trait d’esprit, l’amour de la langue et des mots et, bien sûr, celui de la chanson. Et si nos refrains semblent s’étioler et mourir, laissons ces deux là s’en emparer, les ausculter, les bricoler pour simplement nous dire, au final, qu’ils ne sont pas si mal fabriqués et qu’ils sont bien vivants. A nous de les faire vivre !
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