Off Avignon 2018, Barjac 2018. Sarclo chante Dylan, il était deux fois dans l’ouest
Sauvé dans Anne-Marie Panigada, Catherine Laugier, En scène, Festivals
Tags: Barjac 2018, Bob Dylan, Nouvelles, Off Avignon 2018, Sarclo, Sarcloret
Atypik Théâtre, 13 juillet 2018 ; salle Trintignant à Barjac, 2 août,
Je me souviens d’avoir été impressionnée il y a quinze ans par un article de François Gorin sur l’insaisissable Bob Dylan. « Si Dylan est un ami, il n’a cessé de vous trahir (…) Qu’on l’adule, il vous jettera la première pierre. Qu’on le déteste, il vous servira son meilleur venin. Cherchez-le sur sa gauche, il soignera sa droite (…) ». On a l’impression qu’il nous parle de Sarclo. Qui baigne dans Dylan depuis ses quatorze ans. Qui tente de nous expliquer « son » Dylan, parce que nous on n’est pas très bons en anglais.
D’autres ont essayé, Aufray avec Delanoë, ils l’ont adapté, c’était bien, on a tous été bercés (même Sarclo) par La Fille du Nord, ou la déjantée Cauchemar psychomoteur, et Dylan ne l’a pas renié. Sarclo lui, tente l’impossible, traduire au plus près en gardant l’image la plus proche, les mêmes ruptures, comme un doublage réussi. Adapter le jeu des voyelles de l’anglais au son des consonnes du français et surtout générer la même sensation, la même émotion. La fille du Nord, ce sera une confidence, presque une confession, avec une guitare si tendre « pour celle qui fut mon amour sincère ».
Alors il nous a choisi une quatorzaine de titres, surtout de la première période des 60′s, celle où Bob était le roi du protest song. Avec une prédilection pour l’album The Freewheelin’Bob Dylan. Comme le nom l’indique, en roue libre. De la fantaisie pleine d’humour, et de si jolies notes de guitare, dans ce Leopard-skin Pill-box Hat de Blonde on Blonde, devenu « Ton joli pt’tit bibi en peau d’léopard ». Et un album assez tragique, de ruptures, Blood on the Tracks, de 1975.
De la chanson souvent analysée comme la plus politique, A hard rain is-a gonna fall – présentée comme une chanson contre la pluie et contre Francis Cabrel, autre repreneur de Dylan – il fait une plainte plus intime, déchirante. On le voit, ce fils aux yeux clairs, on l’interroge, « Qu’est-ce que tu vas faire, mon enfant chéri ? »
Pour les autres, on tourne, plus que sur la chanson engagée, sur la mythologie folk, les archétypes des States, tout ce que vous devez en comprendre, pour appréhender aussi toute la musique américaine. On y parle de ferme, de fermiers, de filles de fermiers, de revolvers et de gallows : de gibiers de potences ou de potentiels gibets. C’est rugueux, c’est nasal, la guitare est une gratte, et les ballades sont longues parce que ce sont des films, des morceaux de vie. C’est parfois comique « Pour le père de Maggie, je ne veux plus aller bosser ». Mais le plus souvent dramatique : amours qui finissent mal, jalousie, destin contraire – fatum : doom. Comme dans les pièces classiques, les filles tentent de sauver leur père en vendant leur vertu aux juges indélicats : « Le prix, ma chère, ce sera plutôt toi ». C’est le fatidique Seven Curses, profond, d’une douceur tragique.
Le concert a commencé avec ce long, long titre, tellement long, pas loin de neuf, ou dix minutes suivant les versions, que Sarclo s’emmêle les pinceaux et s’y reprend à deux fois. C’est un film, genre de ceux que se fait Arthur H aussi, d’ailleurs ça a failli en devenir un (de film). Avec un carré de personnages, Lily, Rosemary and the Jack of Hearts. Brelan de dames, la princesse et la reine (qui elles-mêmes jouent aux cartes, c’est une mise en abyme), et le Valet de cœur. Un petit voyou, en France j’aurais bien vu Delon dans le rôle. Il se regarde dans la glace, il se trouve beau. Les autres aussi, elles trouvent, Lily comme Rosemary.
« Lily was a princess, she was fair-skinned and precious as a child » donne la plus jolie traduction du texte : « Lily, c’était la princesse avec une peau de pêche et des caprices d’enfant ». C’est là que la voix de Sarclo se fait douce, caressante, il n’a jamais su résister aux papillons…
Le quatrième, il est pas dans le titre, c’est Big Jim, c’est le roi, peut-être l’as, il est plein aux as, il a la mine de diamants de la ville. C’est une histoire éternelle, Lily a été la compagne de Big Jim, qui l’aime toujours. Rosemary est la femme actuelle de Big Jim, la femme du roi c’est la reine, mais une reine sans couronne. « Une reine en civil » qu’il dit Sarclo. « Elle lui a glissé à l’oreille, en brassant l’air de ses faux cils ». Et quand elle le voit reluquer le Valet de Cœur, elle poignarde Big Jim. Pendant ce temps là la bande du beau-gosse a dévalisé la banque, mais on ne sait pas trop bien ce qu’il est devenu, le Valet de Cœur. En tout cas Rosemary finit sous la potence, « sur le gibet » condamnée par un juge alcoolique. Et Lily pense au Valet de Cœur…Faut peut-être pas tout chercher à comprendre, sentir, c’est mieux comme ça.
Entre les chansons, y a des contes de pure invention, des « balivernes » comme il dit, les vacances avec Dylan, les disques d’Aufray et de Richard Anthony qu’ils écoutaient, avec toujours un fond de vérité (oui, oui, Anthony a bien commis, enfin chanté une adaptation de Blowin’ in the wind), la pom pom girl qu’ils draguaient.
Ça fait de belles chansons de rupture, Don’t think twice…, ou Mama, you be on my mind , devenue « Mais chérie, j’ai pensé à toi » et « Where you been don’t bother me nor bring me down in sorrow» : « Où tu vas, ce que tu fais, ça n’me cause aucun chagrin ». Ça rappelle beaucoup de chansons de Sarclo, chansons d’après : « J’en suis triste avec le sourire / Quand je pense à vous, je vous aime ». Et là, la voix se fait douce, avec ses ruptures, ses inflexions tendres, et la guitare, mélodique.
Et de beaux songs d’amitié, genre que sont mes amis devenus, au son de l’harmonica, très intimiste. C’est le rêve de Bob Dylan, où il redistribue toutes les phrases à l’envers : « Qu’il neige ou qu’il vente, on avait le cœur affamé » remplace avantageusement « With hungry hearts through the heat and cold ».
Sarclo, assez souvent aimable comme le fermier de Motorpsycho Nitemare, nous confie que son caractère s’est beaucoup amélioré. On veut bien le croire à l’écoute des quatre perles finales, des chansons d’amour. Simple twist of fate, « Un simple petit coup du sort » et Shelter from the storm, plein de références bibliques – « Elle est venue si gracieusement, elle a pris ma couronne d’épines », crié, gueulé presque dans la tempête, très rythmé. Amours qui auraient pu exister.
One too many mornings, « Un matin de trop, et mille kilomètres en arrière », jouée avec la guitare noire « accordée impossible » héritée de son ami Napoleon Washington. Enfin la méconnue Dirge (1974) « Ceux qui ont la solitude heureuse, je n’en fais pas partie / Dans ce siècle de pacotille, je cherche la pierre précieuse ». Amours qui ont trop existé, peut-être les deux plus belles de toutes, d’une douceur extrême. Et à mon goût, encore plus touchantes que les originales.
Sarclo sings Dylan in french. Prochains concerts à Anse (69) les 13 et 14 octobre 2018.
Ici le site de Bob Dylan, très complet, avec la discographie complète, les titres et tous leurs enregistrements, les paroles. Là le profil public de Sarclo Ret (plus à jour que la page officielle). Ici le site de Sarclo sings Dylan. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, ici.
Bob Dylan’s dream
A hard rain’s A-gonna fall (Mon fils aux yeux clairs)
La canicule aidant, Sarclo a tombé la veste à Barjac et a semble-t-il hurlé comme un grand fauve. A Avignon il avait encore t-shirt aux couleurs de sa pom-pom girl et veste beige, il faut dire qu’on avait la clim. Bravo à Anne-Marie Panigada pour ses superbes photos !
désolé pour le négligé de la tenue à Barjac : mon directeur sportif était pas là et y a eu du laisser-aller. Pour la très longue chanson « Lili, Rosemary and the Jack of Hearts », je suis ravi de lire ton interprétation, je pense que ça en fait une par personne, et tu as raison de dire qu’il vaut mieux sentir que comprendre. Dylan embrouille le comité, à fond, et c’est ça qui fait qu’on a encore envie de chanter/écouter cette chanson : à chaque fois on peut choisir de croire un ou deux autres mensonges… « Mixed up Confusions » est un titre de chanson qui donne peut-être une clef. Merci pour ce texte, c’est vachement gentil. et bien écrit.
Bravo Catherine, c’est vraiment beau et fidèle. Comme Sarclo.
Un pur bonheur ce concert de Sarclo… La voix, les grattes, les mots : Dylan sans Dylan mais avec un sacré mec.