Barjac 2018. Frasiak, chanteur de l’humain
Sauvé dans Anne Lefebvre, En scène, Festivals, L'Équipe
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La nuit tombe sur Barjac, les vieilles pierres prennent un beau reflet rouge sous les projecteurs ; on ressent encore le plaisir immense d’être assis avec des centaines de passionnés de chanson, au milieu de cet écrin incroyable qu’est la cour du château ! Eric Frasiak ouvre ce soir le 26ème Festival de chanson française. En noir et rouge, il débarque sur scène, gilet joliment accordé à la guitare, et bien sûr chapeau bien campé sur la tête. C’est justement avec Sous mon chapeau qu’il commence son récital, de sa voix chaude et bien timbrée, zeste de tendresse en plus pour nous faire fondre. Ah, on doit bien l’avouer, Frasiak est un de ceux qu’on aime, tout simplement. « Quelle dure tâche, dit-il, que d’ouvrir Barjac ! ». On le comprend, mais c’est façon de dire. Accompagné de ses musiciens complices de longue date, Jean-Pierre Fara bien sûr, à la guitare électrique, Philippe Gonnant à la basse, et Benoît Dangien au piano, il enchaîne comme un grand pro de la chanson qu’il est depuis vingt ou quarante ans, selon la date qu’on choisit pour ses débuts (mais autant dire qu’il est très vite tombé dans la chanson…)
Sous son chapeau ? Eh bien oui, les fameux « cheveux d’indien » ont disparu (ce n’est pas une légende, Frasiak a eu les cheveux longs, photos en attestent!), mais on sait que si la tête s’est dégarnie, elle est restée bien faite et bien pleine de cette belle chanson à la fois intime et sociale qui nous tient à cœur, surtout ici à Barjac. Alors quoi, Frasiak Fraziak ?? N’en jetez plus, il en a fait une chanson « Y a toujours un S à mon nom », un point c’est tout. N’en profitez pas pour mettre un K à Eric…
Il est là avec nous, tout de suite. « Alors, ça chante à Barjac ? » Il nous appelle, nous interpelle, et le public déjà conquis ne se fait pas prier pour y aller des « laï laï laï » et pour taper dans ses mains. Voilà, que ce soit dit, il ne suffit pas de faire de belles chansons et d’avoir la voix itou, il faut encore que le public se sente exister en face, et c’est tout un art où Frasiak est maître, avec là encore une grande tendresse ! De l’amour oui, mais de l’amour sans mièvrerie, celui qui se dit avec les yeux, « Je t’écris ces mots de silence / Je t’écris de tous mes regards » avec la pudeur de ceux qui savent que les mots sont parfois superflus quand on est dans le vrai.
Hommage suit, à Barbara Weldens, trop tôt disparue l’année dernière, triste anniversaire, « amour par terre ». Sur un air de valse électrique, « c’est le bonheur qui s’est taillé » et notre cœur se serre à ce souvenir… « On est des Grand-Estiens » poursuit-il ! Ah la Lorraine… Y avait plein d’usines jusqu’à ce que Monsieur Boulot et les grands patrons s’en mêlent, et que s’y enterrent les promesses des politiques de tous bords. « Monsieur Boulot, chante-t-il, on comptait tous un peu sur toi » mais on ne va pas pleurer, alors les notes sont gaies ! Mais quand même, « Reviens faire un tour par ici pour rallumer les hauts-fourneaux »… Applaudissements nourris, à Barjac on n’est manifestement pas du côté du Medef !
Frasiak continue à nous embarquer, cette fois à bord d’un 44 tonnes. Clin d’oeil à « ceux qui déroulent le bitume à longueur d’année » et qui ne voient pas grandir leurs gosses, comme son père. Une vie loin des siens « Je pense à celle qui m’attend là-bas », une vie de marin où « Longue is the route pour un bon plumard ». Ce qui nous touche, c’est la grande simplicité de Frasiak, ce grand gars en bord de scène, on le sent tout proche. Et quand il commence Le jardin de papa en piano-voix, la main posée sur le micro, on le voit aussi ce « jardin dans l’état », ça nous vrille un peu que d’imaginer le chagrin du père disparu voyant de là-haut son jardin bien-aimé délaissé au fil du temps…
De l’intime au collectif, parlons des grands singes. Oui on est d’accord, le destin de la planète passe par là, avec celui des chardonnerets et des insectes. En passant, le chanteur note que « L’homme n’est pas une espèce protégée / Y a pas de danger qu’elle disparaisse » ! Ode aux moins beaux atours de l’humain, Espèce de con devient une dédicace à Trump et à Kim Jong-un, les dirigeants des Etats-Unis et de la Corée du nord… Et puis tiens, ça n’ rimerait pas avec le nom de notre président aussi ?! « Ca génocide, ça vocifère, ça apartheid, ça terrorise », voilà hélas une chanson qui ne vieillira pas de longtemps, et comme le dit Yves Paccalet que le chanteur cite : « L’humanité disparaîtra, bon débarras » ! Un peu de douceur et de nostalgie suivent, Frasiak nous chante sa ville, celle où il a grandi. Dans ce pays d’Ardennes à Charleville, les « copains inventaient des étés tous les jours de la semaine », les souvenirs remontent « C’est là que j’ai aimé pour la première fois », tranche de vie que Frasiak dépeint avec toujours cette tendresse, et des mots qui font mouche. C’est la nostalgie qui nourrit le présent et qui parle au cœur de tous.
En rappel, Frasiak nous a gardé au chaud un plat spécial, il le dit lui-même « J’ai fait une chanson de mauvais goût, forcément c’est politique ». Alors, « Qu’est-ce qu’il y a au menu des prochaines élections / ce s’ra une déception » avec de nouveaux couplets depuis l’année dernière dont on se réjouit sans scrupule aucun… Ah, on le connaît bien ce goût de Cuisine politique qui reste un peu en travers, et on se dit avec lui que « Quand on compte pour des prunes / Au moins qu’on nous lâche la grappe » !
Une phrase qu’on ne lui dira pas, ni à lui ni à ses musiciens virtuoses. Ne nous lâchez pas, continuez à nous donner de belles chansons, sensibles, fortes, drôles et engagées ; continuez à nous faire croire et espérer le temps d’un concert, le temps d’une chanson, en une humanité de cœur et de partage. On l’emportera avec nous après le concert, et forcément on en fera de belles choses.
Le site de Frasiak, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Un très bel article plein d’humanité comme celle que tu distilles à travers tes chansons…
Oui c’est bien vrai, ses chansons sont de vrais bijoux!
Il sait dire avec ses textes des choses vrais qui nous touchent au plus profond de nous, et souvent avec humour.
Eric est aussi plein de gentillesse et quel plaisir de parler avec lui après le concert!