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Avignon Off 2018. Insigne et chère alliance

Liz Cherhal (photos d'archives DR)

Liz Cherhal (photos d’archives DR)

Liz Cherhal est cash et ne s’en cache pas. Elle avance sur scène comme dans la vie. Sans faux-semblants, elle porte ses chansons comme d’autres une oriflamme sur un champ de bataille. Mais son chant de bataille à elle, c’est la vie.Celle qui crépite et qui inquiète. Celle qui débite et qui maltraite. Celle qui palpite et qui perpète.

« Pierre après pierre d’une vie angulaire, feu vacillant : pense un peu aux enfants. Silence de mort : dis, est-ce que tu dors ? Non, c’est bien pire, je crois que je vais partir ». D’emblée, Liz Cherhal nous accueille et nous cueille avec des signes qui, avant quelque parole que ce soit, vont parler à ceux qui n’entendent pas, leur laissant, pour une fois, une courte tête d’avance dans la compréhension de ce qui se joue là. Car le son n’arrive qu’après. En procédant ainsi, le tableau est brossé : pour appréhender ce spectacle, on va, certes, pouvoir l’écouter, mais il va également être un plaisir des yeux. Mais, pas que…

En effet, à l’entrée de La Manufacture, on a distribué aux spectateurs un ballon de baudruche. Et ceux qui le souhaitent peuvent placer cette bulle d’oxygène sur leur ventre durant le spectacle et ressentir les vibrations émanant du plateau. Car c’est ainsi que les sourds et malentendants peuvent profiter d’un concert : ici, l’onde… Et, peut-être, le ressenti n’est-il pas loin de celui que ressent le nouveau-né, dans le ventre de sa mère lorsque celle-ci écoute de la musique ?

D’autant que cette palpitation musicale est là pour porter, pour toucher, pour remuer. Car, d’emblée, c’est l’esthétique résolument rock qui nous happe et nous embarque. Le guitariste Morvan Prat et le batteur Meyvelian Jacquot nous distille, nous pétille et nous instille un flot puissant et pénétrant comme une vague de fraîcheur, sur laquelle on surfe volontiers.

C’est alors que, dès la deuxième chanson, arrive un gaillard qui, de par sa présence quasi-magnétique et sa gestuelle ondoyante et précise, happe « ire aimée diablement » notre attention. Interprète en langue des signes, comédien et danseur, Cyrille Gérard apporte à ce miroir brisé des illusions perdues qu’est L’alliance une espèce de liant serein, de douce puissance et d’humour graphique, sans lesquels ce spectacle serait « vrai sans bla-bla bleuement » une chute perpétuelle et irréversible vers le douloureux pessimisme latent qui semble animer Liz Cherhal.

Véritablement habité et complémentaire, le duo nous livre ici une partition gestique d’une richesse et d’une sensibilité touchantes. D’autant que la langue des signes s’articule à merveille à un travail dansé mené avec le chorégraphe Hervé Maigret. Et tous ces paramètres, additionnés à une jolie création lumière précise et à une scénographie simple mais efficace (deux rideaux de fil dont la mobilité participe de la fluidité de l’ensemble), sous la houlette du metteur en scène Néry Catineau (que l’on a connu sous son prénom comme chanteur des Nonnes Troppo et des VRP) font de ce spectacle une œuvre complète, aux éléments  pesés, soupesés et superposés avec intelligence et délicatesse.

Et quand les deux musiciens, jusqu’alors séparés à jardin et à cour, se rapprochent de Liz et de son clavier au centre du plateau, Morvan prenant un violoncelle et Meyvelian troquant sa batterie pour une gratte, Cyrille s’asseyant à leur pied pour signer, ces 4 artistes-là changent totalement de registre et nous livrent un opus harmonieux et serein, qui nous emmène ailleurs et nous apaise.

Et on n’ose imaginer la somme de boulot et les nombreuses étapes de travail successives pour aboutir à ce résultat-là ! Mais, si tout cet édifice complexe et passionnant a ainsi pu être échafaudé, construit et présenté, c’est parce que le matériau de base que sont les paroles de Liz Cherhal constitue déjà à lui seul un tissu d’une complexité et d’une richesse rares. Parce que les thèmes qu’elle aborde ne sont pas des plus évidents et s’apparentent plus à des chemins de traverse et à des accidents de vie qu’à des bluettes amoureuses ou au désir de se faire briller le nombril. Parce qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas voir.

Entre l’épreuve de conjoints disjoints, la déchirure de l’avortement, l’écartèlement de l’enfant aux parents séparés, les difficultés d’une famille recomposée et le calvaire de la femme battue qui, pour se libérer, tue son conjoint, tous ces cailloux dans nos chaussures ne nous donnent pas pour autant « envie de mordre la poussière, d’aller loin, de tout foutre en l’air », mais plutôt, comme Liz le chante dans Vibrante, « besoin de respirer plus fort et crier encore, et crier encore je suis entière, je suis vibrante, je respire, je vis. » Parce que, au bout de cette route-là (et c’était loin d’être gagné), ces cinq langages que sont la musique, le français, la langue des signes, la danse et l’onde vibratoire auront su se parler, se conjuguer et s’articuler pour nous offrir une insigne et cherhal liance. Pour le meilleur et pour l’inspire.

 

L’alliance – La Manufacture (rue des Écoles) – mardi 24 et jeudi 26 juillet 2018 à 19 h 35. Le site de Liz Cherhal, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est làImage de prévisualisation YouTube

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