Melissmell, toujours rebelle
19 avril 2018, salle Jean-Le-Bleu à Manosque,
Un peu d’attente (peut-être parce que la salle peine à se remplir), et là voilà qui débarque sur scène, jean et tee-shirt sans afféterie, tennis et foulard étoilé, coiffure au naturel et visage presque nu… On sait déjà que ça n’a aucune importance et que le concert sera sans concession. On ne l’imaginerait pas autrement, il y a des arrivées qui donnent le ton.
Accompagnée au piano par Matu (Mano solo, Indochine, Amadou et Mariam…), toujours présent, elle se campe face à nous, la voix rauque nous attrape à la première note « la musique ne dit rien, elle te frappe et c’est tout… elle au moins, elle te suivra partout« . Nous prenons en plein coeur cette « âme torturée », touchés par cette soif d’absolu encore si vive et la rébellion toujours à fleur de peau. « Ma France, tu me fatigues… aujourd’hui c’est terminé la fraternité, la France des droits, Paris n’entend plus la colère du bas » prend des accents d’actualité, des têtes opinent dans le public, et voilà qu’on la suivrait bien pour tailler La route avec elle, avec cette voix reconnaissable entre mille qui sait aussi se faire cristalline avec une belle maîtrise : « tu vois la route en face, les ombres sur le bord, ces quelques âmes en peine qui déambulent encore ». Le foulard étoilé se fait costume, drape les épaules, la voix se fait plus dense encore, plus ample pour « Ma petite étoile noire, quand je te vois je tremble, tu allumeras un soir ton espoir de demain ».
Ses thèmes de prédilection sont là, thèmes éternels s’il en est, et qui parlent sans doute à beaucoup, l’envie de refaire le monde, cette sensation parfois de «au fond de moi, ce vide immense », la souffrance d’une enfance blessée et des rêves trop tôt envolés « j’aimais rêver maman, j’aimais la vie moi maman ».
Le profil s’aiguise, l’émotion affleure au bord des yeux ; on ne voit plus sur scène qu’une immense sincérité, et une sensibilité dont on sent qu’elle est invivable dans un monde de compromissions. Jaillit d’un coup un sourire de louve, magique, quand elle nous chante que « pendez votre Dieu comme vous pendez les femmes, nous sommes déjà mortes quand l’homme nous descend ». Les applaudissements fusent, on sent que la cause est entendue ; les mains des spectateurs sont peu nombreuses dans la salle mais elles ont à coeur d’être dix fois plus présentes et chaleureuses ! Son poing se lève, l’émotion devient encore plus palpable avec Les Brebis, qu’elle chante d’une voix contenue, les yeux plantés dans les nôtres, et nous vient alors le besoin impérieux de ne surtout pas « tôt ou tard, tout penaud » rejoindre le troupeau « j’ai choisi mon chemin, ma liberté, ma quête, je n’m'en fais pas pour moi mais les brebis m’inquiètent »…
Les gestes sont rares, ils seraient inutiles ; le jeu de scène se réduit à l’essentiel et ça tombe bien, on n’en voudrait pas plus. Juste écouter cette voix rare, la voir se saisir d’une lampe et s’avancer, à quelques pas de nous seulement, pour chanter Madame : « Ne gâchez pas la chance, nous dit-elle, ni votre âme en avance, allez donc prendre l’air ». Juste vivre nous aussi cet absolu auquel elle nous invite si vivement. La voix se fait féline, chante la « révolte qui gronde » et « la colère tapie dans le fond là en bas ».
Matu le pianiste se fait plus soutenant encore, les notes s’envolent pour accompagner « cette fêlure dans la voix » et elle se glisse à ses côtés en souriant pour quelques notes complices jouées ensemble. Les mains esquissent une légère ponctuation, légère danse pour la mort du Rock’n roll et celle de la révolution, et elle grimpe sur le piano pour nous faire tous entonner en choeur « bang bang, shoot shoot » !
On n’est pas là pour jouer dans la dentelle. Du moins en a-t-on l’impression, les mots sont tellement âpres, et le sourire si rare ! Mais voilà qu’en écoutant Aux armes dans la salle, le coeur devient plus ample, la tête tutoie les étoiles d’une liberté en chemin… Cette fraternité qui sommeille, elle vient la réveiller, voilà une rage qui sait chercher l’élan en nous, « c’est la lutte finale, un combat d’initié, sont les perdants qui gagnent ». On sent qu’il faudra, au-delà de l’émotion, aller rechercher et relire ces mots, les découvrir alors ciselés comme de farouches joyaux et s’en nourrir finalement comme à une source vive.
Melissmell se plante face à nous, assise encore plus près, une seule lampe pour l’éclairer, se mettant à chanter La colère d’une voix presque intérieure, venant aussi loin que ses fêlures et ses rêves brisés « elle rend la colère la douceur amère, elle ronge sa proie »…
La chanson de Mano Solo Vive la révolution vient clore son récital, on la sent un peu surprise, oui le public ne connaît pas la chanson ! mais l’apprend très vite pour la chanter avec elle. Les spectateurs découvrent peut-être Melissmell ? L’accueil chaleureux qui lui est offert en fin de concert n’en est que plus beau. Elle a chanté comme si nous étions deux cents ou mille devant elle, Manu a donné tout autant de son piano ; on a puisé dans ses chansons un peu de cet engagement rageur et nous en repartons galvanisés. Nous aussi, « maintenant on s’en fout de rouiller un peu » et si « nous, les enfants de la crise, avons le cœur un peu serré », l’espoir se profile parfois au loin quand « ne sens-tu pas dans l’air, j’entends monter les voix (…) ne te retourne pas, le monde est à refaire ».
Le site de Melissmell, c’est ici ; ce que Nos Enchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Quel engagement ?? je suis stupéfaite d’entendre de plus en plus de chansons qui s’engagent chantées par des chanteurs pas engagés du tout .
Je ne sais si elle est « engagée », mais sur scène elle se donne, elle s’engage tout entière. Je ne l’ai vue qu’une fois et j’avais, au sens propre, des frissons dans le dos.
C’est sûr, elle donne… même des coups au piano et de l’agressivité aussi, et je me demandais ce qu’on lui avait fait.. nous ! Elle donne et j’ai rien reçu !
Oui bien sûr, je parlais ici de son engagement sur scène… A Manosque, ni agressivité ni coup, mais une grande intensité et présence, voire douceur, dans l’interprétation. On y est réceptif, ou pas. Elle donne, elle n’est pas responsable de ce qu’on ne reçoit pas…