Jean Vasca : réédition bienvenue
La collection Rouge & Noir de chez EPM est un vaste coffre à trésors. Plein de souvenirs pour beaucoup oubliés, estompés, qu’on retrouve-là, pêle-mêle, entassés. Des grands classiques que sont Brel, Brassens, Barbara, Aznavour, Trenet ou Ferré ; de jeunes débutants dans la variété tels que Sylvie Vartan ou Johnny Hallyday à l’orée de leur gloire ; des amis de toujours tels Félix Leclerc ou Francis Lemarque, Maurice Fanon, Marc Ogeret ou Marcel Amont, des comme Bourvil, Damia, Francis Blanche, Jacqueline François, Jacques Douai, Léo Marjane, Marie-José Neuville… Et, bonne pioche, Jean Vasca.
Le dernier (double) album ravira les amateurs en publiant de larges extraits de dix albums de Jean Vasca, de 1968 à 1986, désormais introuvables, plus au catalogue EPM (les quatorze disques suivants le sont toujours ; seuls manquent à l’appel les deux premiers albums, respectivement de 1964 et de 1965). Ce ne sont qu’albums tronqués, diront certains, mais ce sont quand même 49 titres pour l’heure sauvés de l’oubli discographique et, par ces temps de grande disette, au moment même où on dit le disque mourant, c’est presque une bénédiction. Qui plus est à 10 euros ce double album, c’est cadeau à se faire, à offrir aussi.
Le livret de cette bien belle livraison est fait essentiellement d’un texte de Jean-Pierre Nicol, de 2005, dont nous ne résistons pas à publier un extrait ici ; texte qui, malgré la disparition entretemps de Jean Vasca, n’a pas pris une ride : « Jean Vasca est Vivant ! Vivant comme peu de poètes savent l’être aujourd’hui. Voilà qui confortera la poignée de fidèles qui monte la garde autour de ses mots depuis plus de quarante années maintenant, et rassurera sans doute ceux qui, moins assidus ou emportés par le tourbillon de la vie, prennent néanmoins régulièrement le bulletin de santé de la « bonne chanson française ». Puisqu’il est malheureusement admis que toutes sortes de peuplades squattent désormais le giron de la dame et qu’un tri sélectif s’impose. Vasca a ses clés. Ses qualités d’écriture. Ses millésimes de lumière. Sa poésie est en perpétuel état d’ébriété, écrivais-je en avant-lire de sa biographie en 94. Se situant à la croisée des chemins de Trenet, de Leclerc, de Ferré et de Nougaro (ces deux derniers pour l’entière liberté d’expression et la musicalité brute d’un verbe électrocuté), il a fait ses classes dans les cabarets de la rive gauche, sous la férule de René-Louis Lafforgue, en compagnie de Magny, Sèvres, Lapointe, Fanon, Gougaud ou d’Hélène Martin. Deux rencontres, assez jeune, le marqueront. Celle de Luc Bérimont, poète et homme de radio, comme lui originaire du nord, qui affirme déjà, catégorique que la moindre notation de Vasca, par sa vigueur et sa vitesse, dépasse de cent coudées ce que les patentés de la poésie professionnelle osent en volume. Puis celle d’André Almuro, compositeur contemporain proche de Pierre Schaeffer, l’un des pionniers de la musique concrète, avec lequel il va s’essayer à des créations collectives et aux Poèmes électroniques qui constituent les premiers maillons de son œuvre, en 1963. S’en suit une carrière jalonnée de nombreux et prestigieux prix du disque, de plusieurs passages à l’Olympia et au Théâtre de la Ville, et dont l’ossature est constituée de 21 albums studio où alternent, selon les époques, chansons, poèmes dits et parlé-chanté qui lui vaudront un temps une réputation d’imprécateur, que seul, à part lui, Léo Ferré pu revendiquer. Tout cela orchestré par trois arrangeurs remarquables : « Mimi » Rosso (guitariste de Brassens), Michel Devy, puis Robert Suhas. Seront également publiés 7 recueils regroupant tous ses textes, de 1969 à 2002, qu’une quinzaine d’interprètes dont Lafforgue lui-même, Jacques Douai, Benin, Bertin, Vinci, Montaner, Isabelle Aubret, Francesca Solleville ou Marc Ogeret ont mis à leur répertoire. La poésie de Jean Vasca me conforte dans l’idée qu’aux plus simples choses reste attachée une énigme qu’on n’en finit pas de dénouer, comme on lève le voile des apparences sur l’aura solaire qui transmue et disperse les cendres de chaque aubier de vie. A chacun de dévider cet écheveau infini tressé de signes, de paroles ouvertes, de choisir dans le panier de l’été les fruits offerts de la clémence et du partage, chants de révolte et d’amour, qui sont encore, pour certains, fruits du silence, cris cloués, portes muettes battants sur l’intolérance et le désespoir. Sur l’espoir, aussi (…) »
Le site d’EPM à la page Vasca, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà écrit sur Jean Vasca, c’est là.
Merci, Michel, pour Annie et pour la mémoire de Jean !