Pascal Rinaldi, cousu de fil noir
Pascal Rinaldi, vous connaissez ? Pour toute réponse, je n’obtiens généralement qu’un silence fracassant, à peine troublé par quelques oui, essentiellement helvétiques. C’est que notre valaisan, malgré une bien belle carrière d’acteur-chanteur-compositeur, reste confiné dans une audience par trop confidentielle. Jusqu’à mon smartphone qui en nie l’existence : lorsque j’écris son nom dans un SMS éclairé, le correcteur orthographique le remplace manu militari par « Ronaldo » !!! L’engeance footballistique sévit partout…
Les amateurs se réjouiront donc de le voir sortir enfin un nouvel album de chansons originales, sept ans après son Passé le zénith (avec la parenthèse en 2013 de son album Traces, composé d’adaptations en français de titres anglo-saxons). Son titre résonne comme un autoportrait : Sur un fil. Tel un équilibriste oscillant entre la joie et la tristesse, l’inquiétude et la colère, l’amour et la lassitude…
Au programme, treize nouvelles chansons écrites, composées (à deux exceptions près) et arrangées par l’artiste. On y ajoutera une reprise de poids : Anne ma sœur Anne, de Louis Chedid, faisant écho au titre d’ouverture Les murs montent, dans lequel Pascal Rinaldi exprime ses craintes face à un avenir pas trop rose (« On voit resurgir / Les vieux souvenirs / La haine ordinaire / De l’ignorance naît la peur »). Les thèmes abordés vont du chagrin qu’il est vain de vouloir contrer (« Laisse aller, laisse aller / Laisse venir l’avalanche / Ce n’est que l’âme qui s’épanche ») à l’identité sexuelle (« Quand naît-elle d’il / Qu’en est-il d’elle / Elle est presqu’il / Il est presqu’elle / La frontière est fragile »), de la routine tueuse de passion (« Nous nous déshabituerons / A allumer des incendies / Dans nos yeux comme un feu de joie ») à la mort d’un proche (« A perte de vue / Où t’en vas-tu l’ami / Tu es devenu / Lumière dans la nuit »), en passant par l’impuissance à changer le monde qui se mue en indifférence (« Et on baisse les bras souvent de guerre lasse / En détournant les yeux, en attendant qu’ça passe »)…
Les aficionados de notre suisse favori ne seront guère étonnés du pessimisme ambiant des chansons. C’est que Pascal Rinaldi n’a jamais donné dans la gaudriole et l’optimisme béat. Le monde lui a toujours inspiré plus d’inquiétude que d’espérance. La seule issue reste donc, encore et toujours, envers et contre tout, l’amour qui vous étreint (« Danse une valse avec Lou / Et sens battre son pouls / Dans le creux de ta main« ), le moment de bonheur fugace (« Sans dire un mot / Sans faire un geste de trop / Rester immobile / Garder cet instant fragile ») ou la communion charnelle qui nous vaut une ode à un endroit chaud, humide et doux…
Point d’orgue pour tout amoureux de la chanson : So long Leprest. Un bel hommage d’un homme de parole à son compagnon de poésie, alliant pudeur et magie des mots (« Tu t’es pas taillé un costard / Juste une cravate pour ton départ« ) et clin d’œil dans la forme – ah, ce mot unique en guise de refrain, avec la rime annonciatrice que l’on guette, tellement typique du maître disparu : T’as jamais retourné ta veste / Leprest. Et devinez ? La musique est signée Romain Didier.
Pour les néophytes, Sur un fil constitue une jolie porte d’entrée dans l’univers de Pascal Rinaldi. Pour les vieux briscards, si le disque ne constitue pas une réelle surprise, il n’en est pas moins la brillante confirmation de son talent de chansonnier. Des chansons à l’écriture soignée et exigeante, sans que l’artiste se fourvoie jamais dans les chemins de l’ésotérisme abscons, portées par des musiques accessibles à tous, aux arrangements riches et peaufinés. Du grand public de haute qualité. C’est suffisamment rare pour ne pas passer à côté.
Pascal Rinaldi, Sur un fil, CVW Disques Office, 2018. Le site de Pascal Rinaldi, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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