Dans le Pagny de la ménagère
Souvenez-vous. Nous sommes en 1987 et déboule sur les ondes un 45 tours d’un jeune chanteur quasi inconnu, qui s’est jusqu’alors juste fait un très petit nom au cinéma. Le gars s’appelle Florent Pagny et la chanson, pas mal tournée, N’importe quoi. D’emblée, la puissance de l’artiste nous avait impressionnés. Voilà un mec qui avait du coffre et qui savait chanter !
30 ans plus tard, l’homme a fait du chemin. Pour le pire et le pas trop mal. Une belle carrière de chanteur indéniablement populaire. Avec un répertoire inégal et une pléthore de disques (18 albums studio à ce jour). Et une réputation pas trop à la hauteur de son talent vocal, problèmes fiscaux à la clé.
Six mois à peine se sont écoulés depuis son précédent album (Le présent d’abord) qu’il nous revient déjà avec un album improvisé, enregistré à l’occasion d’un documentaire télévisé de Didier Varrod retraçant sa carrière. L’idée : imaginer la bande originale de son existence ! On passera allègrement sur le caractère factice ou réel de ce prétexte (quelle importance réelle ont pu avoir les titres enregistrés sur la vie de Florent Pagny ?) pour en retenir l’essentiel.
L’album porte bien son nom : Tout simplement. 10 chansons le composent (+ un remix), dans une sobre formule de piano-voix. A l’instrument, le pianiste des stars Alain Lanty. Au générique, que du lourd – n’espérez pas une chanson d’un artiste méconnu – mais du bon : Lavoine, Renaud, Ferré, Souchon, Cabrel, Moustaki, Nougaro… Les morceaux choisis sont souvent des tubes, bien entendu (Mistral gagnant, Ma solitude, Chanter pour ceux, C’est ça la France…), mais pas que : Barbara est présente par Le mal de vivre, Ferré par 20 ans et Cabrel par Des gens formidables, tandis que Nougaro ferme le bal avec son très beau mais guère populaire Il faut tourner la page. Un mix judicieux d’airs connus de tous que l’on prend plaisir à redécouvrir (jolie version d’Un homme et une femme, par exemple, qui nous fait oublier la scie que la version de Nicole Croisille est malheureusement devenue) et de chansons plus confidentielles.
L’interprétation de Pagny est à l’image de l’orchestration retenue : sobre et retenue. Probablement trop d’ailleurs : avouons qu’un chouïa d’émotion supplémentaire n’aurait pas gâté la sauce, l’artiste paraissant parfois simple locataire de la chanson, et non son habitant ! Mais reconnaissons-lui le mérite de ne pas avoir forcé l’emphase dans laquelle il tombe trop souvent. Hormis les envolées – justifiées – sur la reprise de Nougaro, pas de grands effets vocaux cherchant à épater le chaland.
Ce disque n’apportera probablement pas grand-chose à la carrière de l’artiste, par ailleurs bien rodé à l’exercice des reprises (en 1999, il était déjà l’auteur d’un double album intitulé Récréation, et nous avions eu droit en 2007 à Pagny chante Brel). On peut supposer qu’il a entendu se faire plaisir avant tout. Si cela peut en outre permettre à son public de (re)découvrir certaines grandes chansons, qui s’en plaindrait ? Pour notre part, à son écoute, la curiosité s’est muée en plaisir, particulièrement pour ses versions de Quand j’serai KO et de Ma solitude, que Moustaki ne pourrait renier. Un regret : l’enregistrement en studio est bien lisse et il aurait été plus judicieux (mais avec plus de travail et de prise de risque à la clé) de faire une captation en public. Nul doute que l’interprétation aurait été plus vibrante et touchante, et nous aurait emmenés vers des cimes qu’on ne peut ici qu’entrevoir au loin.
Quoi qu’il en soit, voici un disque loin d’être honteux, qui nous fait regretter que le talent vocal incontestable de Florent Pagny ne s’épanouisse pas davantage, pour son propre répertoire, dans des chansons moins passe-partout.
Florent Pagny, Tout simplement, Capitol-Universal, 2018. Le site de Florent Pagny, c’est ici.
Bel article qui fait la part du bon grain et du reste.
Un artiste peut et doit être critiqué sur son art, sur ce qu’il donne au public. Lorsque Pagny donne son talent, essentiellement lié à ses capacités vocales, on ne peut qu’applaudir la performance. Lorsqu’il caresse le client dans le sens du poil, hurle avec les loups et s’enfuit avec le magot, on peut fermer les yeux et se taire pour ne pas entacher l’idole. Mais lorsque l’artiste rend public son comportement avec arrogance et violence, il sort du cadre privé et s’expose au retour de bâton.
L’important est de ne pas mélanger les genres.
Si l’on déteste le personnage, on a le droit d’aimer certaines de ses chansons. Si on l’adore, on peut aussi ne pas accepter n’importe quoi de sa part.
« Car nous voulons la nuance encor, Pas la couleur, rien que la nuance! »